Un ambassadeur a coutume de voyager, surtout s'il est itinérant. Et c'est bien ce rôle que vous m'avez confié, bien imprudemment...Je vagabonde donc, à mes risques et périls, bien sûr, et à mes frais, ceci dit pour rassurer notre trésorier préféré, Thomas.

       En cette fin d'année 2013, marquée par LA CRISE, fatigué du présent, je me suis ainsi risqué à voyager dans le passé, dans des lieux généralement connus par leur nom, mais bien difficiles à situer. Babel, par exemple, c'était où? J'en reviens et j'avoue mon ignorance. Je ne sais pas...Babel reste dans mon souvenir comme un immense et fantastique chantier. Un grouillement gigantesque de personnages en mouvement, suant et soufflant autour d'une sorte de tour colossale, faite d'un assemblage ordonné et ingénieux de rocs et de parpaings, hérissé de madriers colossaux. De la tour, on ne voyait pas le sommet perdu dans des nuages poussiéreux. Sur ses flancs serpentaient des colonnes de porteurs ravitaillant en matériaux les ateliers ou chantiers enchâssés sur ses flancs. Une rumeur étrange régnait en ces lieux, étrange par son harmonie. Pas de cris, pas d'appels, mais des chants qui couraient tout autour de la tour, l'enveloppant d'un halo mélodieux.

       Où étais-je? Sur le chantier Babel des sables, juste après l'atelier Babel des neiges. Avec vous. Oui, vous tous. Nous étions déjà là, tous ensemble, ouais. M. Petit était bien évidemment le chef du chantier. Juché sur une poutre maîtresse, il dirigeait les mouvements, le visage éclairé par un large rire, celui qu'il arborera encore, bien des siècles plus tard, su le siège d'un remonte-pente.

La Tour

Et nous chantions en travaillant. Et nous travaillions en chantant. Il y avait des pauses bien sûr. Xavier et Néné les occupaient en se livrant à un concours de danse que nous accompagnions de nos chants et de nos battements de mains. Xavier était excellent dans son inteprétation de Babelouia, danse d'inspiration très orientale. Néné avait beaucoup de succès, y compris chez nos amis et voisins du chantier Babel de la Volga en interprétant avec fougue la Babelouchka, du répertoire cosaque. Pierrot, comme d'habitude, jouait de la guitare, babelibilibilibi.

       Là tout n'était qu'ordre et beauté, comme dira plus tard un poète célèbre. Tout était entente et harmonie. D'ailleurs, en ce temps là, la langue était unique. D'un chantier à l'autre, la langue et les coutumes ne changeaient pas. Nous nous comprenins avec nos mots, avec nos gestes et, surtout, surtout, nous avions un but commun: une tour à construire!

       Et soudain...Et soudain, comme un ouragan, Dieu s'abattit sur la tour, nous chassant et nous dispersant "sur toute la face de la terre"...Et pourquoi donc? Tout simplement parcequ'Il craignait l'ambition de ce peuple soudé par une langue unique et un projet commun grandiose. "Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux !", disions-nous!

       Pénétrer les cieux ? Diable, diable, grommela alors un Dieu qui, à cette époque était très susceptible et autoritaire. "Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux!" réalisa-t-il. Alors il décida :" Allons! Descendons! Et là; confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres". Ce qui fut fait, et fort bien fait.  

Et voilà, c'était écrit, et si vous ne me croyez pas relisez votre Bible. Mais vous pouvez me faire confiance, j'y étais. Vous aussi, mais vous ne vous en souvenez pas. Ceci étant, sous la houlette de Monsieur Petit, nous avons su rester unis. Nous en avions d'ailleurs pris l'habitude bien des siècles plus tôt, avant Babel, quand nous avions déjà échappé ensemble au déluge, en trompant la vigilance - très douteuse -, de Noé. Mais cela je vous le raconterai pour le prochain Nouvel An, 2015... En 2016, peut-être aborderais-je la Création s'il plaît à Dieu... 

Bernard Messana