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Il vient de m’arriver une histoire incroyable ! Et vous n’allez donc pas me croire…

C’est pourquoi j’hésite encore à vous la raconter.

Si je m’y décide pourtant, c’est que cette histoire nous concerne tous, et qu’au terme d’une année sombre, à l’aube d’une année grise, elle sonne comme une bonne nouvelle. Pourquoi ? Lisez :

NOUS IRONS TOUS AU PARADIS !

Commençons donc par le début. Il se situe à la Colle-sur-loup, lors de notre dernière assemblée générale, et ceux qui y étaient s’en souviennent peut-être. Au terme des débats de l’AG, sur initiative de M. Petit, un Bureau hilare m’avait intronisé « ambassadeur de la Mané ». Je n’avais vu là qu’une initiative amicale et originale, destinée sans doute à me remercier avec humour d’avoir rédigé les compte-rendu du voyage en Tunisie, et du centenaire de M. Petit.

J’avais donc moi aussi bien ri. Et puis j’avais oublié.

Jusqu’à ce jour-là...

Je musardais dans mon jardin lorsqu’une voiture de type Postes et Télécommunications, mais de couleur bleu pâle, s’est arrêtée devant mon portail. J’ai entendu battre le volet de ma boîte aux lettres. Une enveloppe d’un bleu chatoyant, douce au toucher comme de la soie, y avait été glissée. Le genre d’enveloppe qu’on n’ouvre pas d’un index négligent. D’autant que sous mon nom, superbement manuscrit, figurait ce titre d’ « ambassadeur de la Mané ». Je l’avoue, j’ai alors fortement soupçonné une farce amicale, signée X par exemple, le X n’étant bien sûr pas la première lettre d’un certain prénom… J’ai ouvert l’enveloppe avec mon coupe-papier de cérémonie, lame d’ivoire et manche de malachite, et j’ai lu ceci : « Saint PIERRE Au Paradis Cher ami, C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai appris votre nomination au poste d’Ambassadeur de la Mané. Ces fonctions vous autorisant désormais à nouer toutes relations extérieures utiles et profitables à votre association, j’ai songé à vous entretenir d’une affaire qui concerne votre Mané, et qui me tient tout particulièrement à cœur. Il faut que vous sachiez que j’observe la Mané des Sables depuis sa création, en 1937. Je la contemple avec beaucoup d’affection, de joie souvent, et, parfois, de véritable émotion. Et j’ai pour son créateur, animateur, guide, âme, - en un mot M. Petit-, une admiration profonde. De là est né le désir d’imaginer pour lui, et votre œuvre, une manifestation de reconnaissance particulière, originale. Ici, vous le savez, tout nous est possible, mais la Divinité trône parfois bien haut, trop haut, méconnaissant ainsi les aspirations souvent plus simples des hommes. Qu’imaginer qui ferait plaisir à votre créateur, et qui vous comblerait ? Je ne sais pas trop. C’est pourquoi ce sera pour moi un véritable plaisir de vous recevoir au Paradis pour en parler. Et voici comment procéder pour faire sans mal le voyage nécessaire :

Vous l’imaginez sans peine, je n’ai bien sûr pas l’autorisation de vous dévoiler la façon de se rendre au Paradis, et surtout, surtout, d’en revenir, comme je l’ai fait. Je peux tout de même vous révéler que la procédure est très comparable à celle d’Harry Potter allant à Pudlar pour y effectuer ses études de magie. Il faut se rendre dans une certaine gare d’une certaine ville, s’y engager, muni d’un chariot à bagages que l’on pousse devant soi, sur un certain quai, et, arrivé à un de ces piliers qui jalonnent le quai, y pénétrer hardiment, comme aspiré par l’ouvrage. De l’autre côté du pilier, il y a une autre gare, où vous attend le train de Pudlar, où vous attend le train du Paradis. J’avais le mode d’emploi, je l’ai suivi en bon soldat, fidèlement, pas à pas, sans chercher à comprendre, et ça a marché.

Il me faudrait bien des pages pour vous raconter mon voyage et l’accueil qui m’a été réservé, mais ce n’est pas là l’essentiel. Sachez simplement que j’ai eu l’impression d’arriver à Gabès, dans la palmeraie telle que je l’avais découverte, émerveillé, en 1948 ou 1949, quand M. Petit nous y avait conduit. Cela avait été pour moi comme un rêve, et, en arrivant au Paradis, j’ai aussitôt ressenti le même éblouissement, la même sérénité mêlée d’allégresse que j’avais connue autrefois. « Ce n’est pas là le Paradis proprement dit » m’a dit Saint Pierre. Et il a poursuivi : « Quiconque arrive ici est d’abord immergé dans un contexte qu’il a, dans sa vie terrestre, particulièrement apprécié. Cette ambiance heureuse l’apprivoise en quelque sorte, et le prépare à l’enchantement paradisiaque qui va suivre. Tu n’auras donc droit, pour ta part, qu’aux préliminaires, et, pour le Paradis, on verra plus tard,
n’est-ce pas ? » conclut Saint Pierre en souriant. Au passage, vous avez noté le tutoiement immédiat qu’il m’avait d’ailleurs demandé de pratiquer à son égard.

Notre entretien a été long, très long, et volontairement décousu. Saint Pierre voulait que je parle de la Mané, dans le désordre, à ma guise, laissant mon esprit vagabonder, d’Aïn Soltane au Seignus d’Allos, passant par le Colisée de Rome, les quais de la Joliette, le pic des Cavales, et la pelote basque dans la cour du local. Il avait vu le film de notre ami Zine, bien sûr, mais il avait besoin d’approfondir, d’en savoir plus. Pour m’aider à parler, il avait placé à portée de ma main une coupe de Cana , toujours pleine d’un breuvage divin, rouge, cultivé et même « élevé » par lui m’avait-il dit, en me disant d’en user et abuser, et ajoutant « bonum vinum laetificat cor homini ». J’avais obéi. Il m’avait aussi, avec mon accord, couvert de diverses électrodes reliées à des cadrans où il pouvait, m’avait-il dit, compléter mes propos par l’écho souvent encore plus éloquent des vibrations du non-dit.

J’ai parlé, parlé, et Saint Pierre écoutait, questionnait, réfléchissait, notait…

Plus tard, bien plus tard, alors que j’avais fini de raconter, j’ai entendu Saint Pierre murmurer : « Je crois que j’ai trouvé ». Il m’a libéré de mes électrodes, vérifié la température de ma coupe de Cana rouge, et demandé que l’on apporte quelques coupelles de sainte kémia, olives du Mont des Oliviers, poulpe de Tibériade, carottes au cumin de Nazareth. Lui-même s’est largement servi en Cana rosé, plus léger que le rouge m’a-t-il dit. Mais tout aussi gouleyant. Et il m’a fait un bilan saisissant que je résume ainsi :

« Votre Mané est assurément faite d’électrons libres, et même affamés de liberté. Pourtant, sous l’effet de certains stimuli, ils obéissent soudain à un appel, et se plient aussitôt à une volonté supérieure. Un exemple de stimulus ? Le mot « Prêts » qu’ils rugissent ensemble dès lors qu’ils entendent l’avertissement préparatoire : « Mané toujours ? ». Un autre exemple ? Il suffit de leur donner le « La », et les voilà qui bourdonnent harmonieusement. Il leur arrive aussi, mais cela est plus rare, d’atteindre ensemble un état de fusion véritable, intense. Soudain quelque chose descend sur eux, leurs regards se troublent, leurs gorges se serrent, et leur chant s’envole. L’état de fusion est une sorte d’état de grâce. Ils l’atteignent en chantant, sous la baguette de l’un ou l’autre, à un moment où, mystérieusement, une harmonie particulière s’installe. J’en ai trouvé l’explication dans ce que tu as écrit dans ton compte-rendu du centenaire. T’en souviens tu ? Tous disaient qu’à un certain moment, quand M. Petit dirigeait, - et avec quelle passion !-, le choral Final de la Passion selon St Jean de JS Bach.
(vous pourrez écouter ici , en cliquant sur le lien, cette oeuvre dirigée par M. Petit lors de la célébration de son 90 ème anniversaire)
(le20-choral-final-de-la-passion-selon-1.mp3 20-choral-final-de-la-passion-selon-1.mp3,)
leurs gorges serrées par l’émotion ne leur permettaient plus de chanter. Et pourtant, jamais leur chant n’avait été aussi beau ! Tu évoquais alors les anges, et c’est tout à fait cela ! Oui, une quarantaine d’anges qui, sur mes instructions, veillaient sur vous ont relayé, puis ont accompagné le chant. Mais vous aviez su provoquer et permettre leur intervention car vous vous étiez hissés à leur niveau céleste. Et voilà pourquoi je crois avoir trouvé !

Je veux que tous les petits chanteurs de la Mané des sables, du premier de Gabès, qui nous a déjà rejoint, au dernier de Tunis qui a encore bien des années à vivre, entrent ensemble au Paradis. Revêtus de leur aube blanche, ils s’avanceront sous la voûte céleste, par l’allée centrale. De part et d’autre de l’allée, leurs familles et amis les accompagneront de leur regard, et de leurs sourires. En tête marchera le dernier petit chanteur à avoir quitté la Terre, porteur de votre croix. Derrière lui, Monsieur Petit. Et vous avancerez tous lentement vers la Lumière, sur deux colonnes, chantant votre hymne, le « Ubi caritas et amor ». Vous verrez comme l’acoustique de la voûte est divine ! Arrivé au chœur, le porteur de croix fera face à M. Petit, et, par la droite et la gauche, rejoints par vos épouses chantantes, vous prendrez place face à votre Directeur qui fut votre guide, et à qui, pour la plupart, vous devez grandement d’être là. Et vous entonnerez ce Choral dont vous connaissez par cœur et par le cœur ces paroles qui s’accorderont alors merveilleusement à la célébration. »

Saint Pierre cessa de parler. Il était visiblement ému, inspiré, habité même par la vision qu’il m’avait retracée. Moi aussi. Mais un soldat se doit de ne jamais céder totalement à l’émotion. J’avais donc gardé un œil sec, car j’avais cru discerner une faille dans la vision de Saint Pierre. Mais peut-être était-ce une ouverture ?

« Saint Pierre, dis-je, l’air innocent. Nous ne saurons assez te remercier de cet honneur que tu rends à notre créateur, et à toute la Mané. Mais je vois mal, au plan technique comment organiser cette cérémonie qui nous rassemble tous au même instant, alors que certains ont déjà, depuis longtemps, rejoint le Paradis ?»

« Mais non, sourit Saint Pierre. Le temps ici n’est rien, je peux l’élargir ou le concentrer à ma guise. Sois sans crainte, je sais faire ! »

« Merci. Ainsi nous serons tous, absolument tous réunis ! » ajoutai-je, l’air pénétré.

Surpris, Saint Pierre me lança un regard agacé : « Mais bien sûr, c’est ce que j’ai dit ! Tous ensemble, oui. Je ne vais tout de même pas me renier ! »

Il se fit alors un court silence. Je sentais Saint Pierre gêné. L’évocation d’un possible reniement peut-être ? Il sortit de sous sa chasuble une tablette tactile qu’il manipula un instant. Et je l’entendis grommeler : « C’est vrai, j’ai été un peu vite ». Puis, s’adressant à moi : « Tu as raison, et merci de me l’avoir fait remarquer avec tact. Il y a effectivement quelques cas litigieux quant à l’accès au Paradis ! Pour les anciens, ce n’est pas grave, un petit décret d’amnistie fera l’affaire. Par contre, pour quelques bougres qui sont encore sur Terre, je suis embarrassé. Je vais t’en donner la liste, et j’attends de toi que tu les préviennes avec toute la force et l’autorité voulues. Qu’ils s’amendent, sinon … »

« Tu peux compter sur moi, Saint Pierre ».

Le Saint me tendit une liste. J’y jetais un oeil avide : « Etait-ce la peine de m’y faire figurer, Saint Pierre ? ». Le Saint éclata de rire : « Oui ! Et en bonne place, juste après X ( qui n’est pas, je le rappelle, la première lettre d’un certain prénom) ».

Et je suis revenu sur Terre.

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Je me suis réveillé à l’hôpital, la tête entourée d’un bandeau. Il paraît qu’en gare de …, poussant un chariot à bagages, j’avais lourdement percuté un pilier. Pas de dégâts m’a dit en souriant le toubib.

Un vrai colosse, celui-là ! Une longue blouse blanche en forme de chasuble, des yeux pétillants de malice, longs cheveux blancs et barbe de patriarche.

A tout hasard, j’ai siffloté le « Tu es Petrus… »

Le toubib a éclaté de rire, et s’est éloigné en chantonnant quelque chose comme « et super hanc petram… ».

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(J’ai bien la liste).

Bernard Messana