Amélioration des plantes cultivées en Méditerranée


L’amélioration des plantes cultivées en Méditerranée

 

 

Généralités

 

Les plantes cultivées ont toutes une origine sauvage.

Les nôtres ont, le plus souvent, des ancêtres méditerranéens mais certaines ont été importées il y a fort longtemps d’Extrême-Orient ou, plus récemment, d’Amérique du Sud (16ème siècle.)

L’Homme exerce depuis qu’il les a découvertes aux débuts de la sédentarisation, au néolithique, une pression de sélection millénaire.

Les plantes sauvages ont une variabilité cachée sous la forme de caractères récessifs qui ne s’exprime que si le caractère est à l’état homozygote. On sait maintenant que ces caractères récessifs proviennent de diverses modifications du génome : mutations diverses. Beaucoup sont létales, mais certaines sont favorables ou simplement sans effets néfastes. Les variations non utiles ont été conservées sous la forme de séquences muettes à l’état hétérozygote.

Mais ces caractères cachés qui apparaissent spontanément sur quelques individus à l’état homozygote présentent parfois un avantage déterminant pour la domestication et les agriculteurs, qui n’ont pas manqué de les observer, ont tenté de les conserver dans la descendance.

L’amélioration des plantes cultivées c’est donc essentiellement l’émancipation des caractères récessifs.

Cette méthode de sélection, très ancienne, commune à tous les peuples agricoles, est dite « massale », ou en masse. Elle consiste à repérer un caractère génétique nouveau apparaissant spontanément au gré des fécondations croisées. L’agriculteur souhaite fixer la nouveauté si la multiplication végétative est possible (bouturage par exemple) ou bien il récoltera séparément les graines de la plante observée et les ressèmera dans l’espoir de les retrouver l’année suivante.

Mais ce faisant, il n’a pas contrôlé les géniteurs mâles et femelles : le caractère n’est pas fixé.

Mais en procédant ainsi pendant plusieurs années, il arrive pourtant à fixer le caractère sous la forme homozygote.

Un caractère souvent donné en exemple est celui du rachis solide des blés, ce qui facilite la récolte puisque l’épi reste entier alors que c’est évidemment un défaut majeur dans la vie sauvage puisque cela s’oppose à la dispersion des épillets et donc des graines.

Parmi les caractères qui ont été lentement favorisés est celui de la grosseur qui existe chez tous les végétaux (et aussi les animaux). On peut citer par exemple les fines asperges sauvages qui sont botaniquement identiques à nos grosses asperges blanches vendues au marché.

Il en va de même pour les très petites « pommes d’Api », ancêtres de la Golden ou des petites poires « sept en bouche » ancêtres de la « doyenné du Comice ».

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Il convient ici de noter le très petit nombre d’espèces sauvages ayant été aptes à la domestication. Une douzaine d’espèces seulement parmi les centaines de céréales sauvages. Notre alimentation repose sur un très petit nombre d’espèces.

La sélection « massale » tâtonnante a finalement été très efficace même si elle fut lente. Elle se poursuit encore de nos jours. C’est ainsi que les variétés d’arbres fruitiers comme la cerise « hâtive de Burlat », la pomme « Golden delicious », l’abricot « Bergeron » ont été découvertes il y a peu, poussant spontanément dans une haie.

L’application des lois de Mendel, au début du siècle dernier, a permis de s’affranchir notablement du hasard et de mettre au point la sélection généalogique ou dirigée, où l’on maîtrise les géniteurs mâles et femelles des croisements et où l’on observe systématiquement tous les descendants. Elle a permis de réaliser des améliorations agricoles spectaculaires.

Mais que ce soit la sélection massale ou généalogique, elles ont toutes les deux le défaut de faire perdre, par consanguinité, la variabilité génétique existant dans les espèces sauvages.

Nos variétés cultivées, surtout celles anciennes issues de la sélection massale, sont ainsi devenues tributaires de l’Homme qui les a créées.

Il suffit d’observer le retour à la broussaille des restanques des collines méditerranéennes façonnées par des générations de paysans misérables acharnés à coloniser un milieu hostile.

La sélection humaine est en dehors de la nature de sorte que tout ce que l’Homme crée est provisoire et disparaîtrait s’il ne s’en occupait plus. La trace de l’Homme s’effacerait s’il n’était plus là.

Nos variétés cultivées sont le résultat de modifications génétiques : mutations, délétions, transferts de gènes, épigénétique, fragments de virus, etc. N’en déplaise aux écologistes, elles sont toutes des OGM.

Avant de donner quelques exemples d’amélioration de plantes cultivées en Méditerranée, une dernière remarque générale.

Le professeur Jesse Ausubel a montré récemment que les bienfaits sanitaires, nutritionnels et environnementaux des progrès de l’agronomie ont été si considérables depuis la dernière guerre mondiale, qu’au cours des cinquante dernières années, où la population mondiale a plus que doublé, la production agricole a triplé tandis que les surfaces agricoles restaient stables (+ 12 %). Il reste encore des terres disponibles car on ne cultive plus que les meilleures, notamment en Europe et il n’y a plus de famine. Mais ces productions abondantes chagrinent les adeptes de la culture biologique, celle du retour à l’antique, voire au préhistorique.

Le blé

 

Il fait partie de l’immense famille des céréales, avec le riz et le maïs. Il est une des bases de l’alimentation humaine. Depuis le néolithique, au Proche-Orient, vers 9000 ans avant JC, il a été une des premières espèces domestiquées. C’est ainsi que, dans l’Egypte la plus ancienne, on célébrait Osiris pour avoir donné le blé aux hommes parmi ses bienfaits, leur permettant de vivre sans la chasse.

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Le genre Triticum, nom botanique du blé, comporte de nombreuses espèces qui présentent une constitution génétique extraordinaire. Elles sont toutes originaires des montagnes de Turquie, le Taurus notamment, où l’on situe le centre de diversification.

Les espèces les plus anciennes, le Triticum, ont un génome de 2n = 14 chromosomes. On peut citer le Triticum monococcum ou engrain, qui fut cultivé. Ce Triticum monococcum (AA), il y a 500 000 ans, s’est croisé spontanément avec une autre céréale voisine : Aegilops speltoïdes (BB) pour constituer, on ignore comment, un blé tétraploïde 2n = 28 chromosomes où les génomes du Triticum et de l’Aegilops cohabitent sans jamais se mélanger (AA.BB).

De cette synthèse unique est issue une série d’espèces différentes. On peut citer comme cultivées :

Triticum durum Triticum dicoccum Triticum turgidum

le blé dur
l’amidonnier
le blé poulard branchu (Auvergne) ou le blé dit « des pharaons »

Un autre événement aussi improbable s’est produit à nouveau au Moyen-Orient il y a 9000 ans environ aux débuts de la domestication : une nouvelle fusion entre un blé tétraploïde (28 chromosomes) et Aegilops tauschi (DD) qui a formé un blé héxaploïde (AA, BB, DD) qui a donné notamment le blé tendre (Triticum aestivum ou vulgare) et la grande épeautre (Triticum spelta) appréciée des adeptes de la culture Bio car plus rustique mais moins productif.

A l’INRA de Paris, Jolivet a mis vingt ans pour analyser et reconstituer un blé hexaploïde, à partir de diploïdes sauvages, ce qui était survenu spontanément, et en prenant soin de conserver la variabilité des espèces sauvages à 2n = 14 chromosomes d’origine.

Ces travaux ont ensuite été poursuivis par les maisons de semence : Vilmorin, Limagrain, etc. pour créer des variétés plus productives et résistantes aux maladies (rouille).

Cela, joint à la maîtrise des fertilisations chimiques et la lutte contre les mauvaises herbes, a fait que la production de blé tendre qui était de 20 qx à l’hectare environ dans les années 30, a été, en 2012, de 70 qx à l’hectare.

Le blé tendre est mieux adapté aux conditions climatiques du nord de la Méditerranée alors que le blé dur l’est mieux aux pays du sud (Afrique du nord, Italie du sud) plus arides.

La différence essentielle entre le blé tendre et le blé dur est que le premier, dont les graines contiennent du gluten élastique, donne de la « farine » panifiable alors que celle du deuxième, qui a un autre type de gluten et qui est riche en protéines, ne l’est pas (semoule).

La culture du blé a poussé les hommes à mettre peu à peu au point les instruments nécessaires :

le bâton pour creuser des trous, la houe en pierre,
l’araire,
la charrue,

la faucille,
le battage (fléaux), le van.

On a calculé qu’il fallait jadis trois heures de travail pour récolter un kg de blé. Les mauvaises récoltes d’origine climatiques provoquaient des famines en Europe (comme il n’y a pas si longtemps pour le riz aux Indes et en Chine). La dernière famine en France remonte à 1709.

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Le blé a été en fait une source essentielle d’énergie (amidon) et de protéine (gluten) pour les hommes méditerranéens.

Robert Pitte, de l’Institut, a récemment montré que les tables européennes connaissaient les nouilles bien avant le retour de Chine de Marco Polo (1295). Des tablettes cunéiformes traduites en 1994 leur attribuent même une postériorité mésopotamienne.

Les Chinois du nord, qui connaissaient le blé tendre via la route de la soie trois siècles avant notre ère, ont inventé la fabrication des pâtes fraîches à bouillir avec de nombreuses variantes : nouilles, raviolis, etc.

En Méditerranée, les nouilles fraîches sont connues vers la même époque dans les communautés juives. On a découvert, dans les ruines d’Herculanum, une machine à faire des nouilles (+ 79 de notre ère).

C’est à Naples vers l’an 800 que l’on invente la « pasta secca » à la semoule de blé dur introduite en Sicile par les Arabes. Celle-ci était donc déjà utilisée aussi dans les pays arabes d’Afrique du nord pour le couscous cuit à la vapeur et des galettes au four. Elles sont introduites en France par Catherine de Médicis.

La vigne

 

Vitis vinifera existe encore à l’état sauvage en lisière dans les bois de Méditerranée. C’est une liane qui présente des sexes séparés et donne des petites grappes de baies comestibles.

Elle a subi, il y a très longtemps, une mutation rendant ses fleurs hermaphrodites (mâle et femelle) qui a été évidemment conservée par tous les viticulteurs.

Les variétés que nous connaissons sont anciennes et forment deux groupes. Les variétés à gros grains, dites raisin de table, originaires du Proche-Orient musulman : dattier de Beyrouth, muscat d’Alexandrie, (le professeur Pirovano, vers 1940, a eu l’idée, à Naples, de croiser ces deux variétés et la chance d’obtenir, du premier coup, la variété « Italia » connue dans toute l’Europe et cultivée en tonnelles) et des variétés de cuve pour la production de vin. Il existe aussi une variété ancienne sans pépins, la sultanine ou raisin de Corinthe donnant les raisins secs. Chaque région viticole a ses variétés de cuve. La région méditerranéenne de l’Europe représente

62,7 % du vignoble mondial, notamment la France.

Tout aurait pu continuer à évoluer tranquillement si la production européenne n’avait pas été confrontée, à partir de 1862, à un ravageur sans remède : le phylloxera.

Importé d’Amérique du nord sur des plants de Vitis américains contaminés, ce puceron d’un demi-millimètre dont les femelles se multiplient sans fécondation, se nourrit sur les racines des vignes européennes et tue les ceps en moins de trois ans.

Les premiers cas ont été observés dans l’Hérault et toutes les vignes européennes furent contaminées en moins de quarante ans et le reste du monde ensuite, car il existe des formes sexuées ailées qui facilitent la dispersion. Seules les vignes implantées dans des sols sablonneux sont épargnées (Camargue). Aucun traitement n’est efficace. Ce fut un véritable désastre ravageant des millions d’hectares.

L’identification du responsable fut faite par trois membres de l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier: MM. Bazille, Planchon et Sahut en 1868. Planchon commet

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l’imprudence de rédiger un compte rendu pour l’Académie des Sciences de Paris où le Comte Paul de Gasparin et ses confrères, sans être venus sur le terrain, mettent en doute avec condescendance que les pucerons observés soient les responsables des mortalités observées. Rien de sérieux ne pouvait venir du midi. La cause était la sécheresse.

En très peu d’années, toute la France est victime de l’épidémie : la production de vin qui était de 70 millions d’hectolitres tombe à 25 millions en 1879.

Jules Planchon et Louis Viallat entreprennent une prospection en Amérique du nord avec des collègues locaux, pour ramener des variétés des Vitis américaines : vitis rupestris, riparia, labrusca, etc., résistantes au phylloxera et espèrent pouvoir s’en servir comme porte-greffe de Vitis vinifera.

Rapidement ils sélectionnent les types les mieux adaptés à nos sols. La viticulture européenne est sauvée.

Mais le phylloxera n’est pas entré seul en France. Il fut accompagné de deux maladies cryptogamiques : le mildiou et l’oïdium de la vigne se sont installés définitivement partout et nécessitent toujours des traitements pluriannuels à la bouillie bordelaise dont on a des raisons de craindre que le cuivre accumulé intoxique peu à peu le sol.

On a donc tenté, par hybridation, de créer des variétés résistantes. De très nombreux chercheurs publics ou privés s’y sont consacrés.

Le premier croisement avec Vitis labrusca a donné un hybride résistant avec un goût « foxé », ressemblant au cassis que l’on trouvait sur les marchés de Nice sous le nom de « framboisé », évidemment impropre à la vinification, sauf pour un palais américain.

Des centaines de croisements ont été faits sans résultats définitifs et se poursuivent encore avec des succès mitigés. Leur utilisation en France est interdite, sauf dérogation, depuis 1935. En revanche, en Suisse depuis 1980, il y a une liberté totale et de plus en plus de nouveaux cépages remplacent les traditionnels pour leur excellence gustative et leur résistance aux maladies.

Les techniques actuelles transgéniques bien maîtrisées permettraient peut-être de transférer plus efficacement les gènes de résistance des vignes américaines à Vitis vinifera. Mais que diraient les écologistes ? Il est douteux que l’INRA se lance dans l’aventure, d’autant que les chercheurs spécialisés ont quitté la France. Et puis le bouquet d’un vin issu de Pinot noir, de Cabernet ou de Merlot est-il seulement le fait des ADN ou épigénétique ? Les viticulteurs bio sont évidemment très tentés (AOC génériques).

L’olivier

Olea europea, espèce typiquement méditerranéenne qui peuple, avec le lentisque, le chêne Kermès, etc. les collines de tous nos rivages (maquis). Cette espèce est particulièrement résistante à la sécheresse et à la concurrence d’autres espèces. C’est ainsi qu’elle a survécu sur de nombreuses restanques plus ou moins abandonnées.

Les agriculteurs ont, depuis l’Antiquité, sélectionné de nombreuses variétés plus riches en huile (5 kg de fruit pour 1 l d’huile en moyenne). Ces variétés sont très bien adaptées à leurs conditions de culture. Mais cette adaptation très ancienne a eu comme conséquence mal expliquée, que les variétés cultivées ne produisent régulièrement que dans les zones où elles

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ont été sélectionnées. Le Cailletier à Nice, la Frantoïo à Florence, la Chemlali autour de Sfax en Tunisie par exemple.

Toutes ces variétés sont sûrement très anciennes.

C’est ainsi que j’ai pu identifier des noyaux antiques découverts dans les restes d’une ancienne huilerie de la petite ville romaine abandonnée de Sufetula (Sbeïtla) comme étant de la Chemlali toujours cultivée à Sfax.

L’huile d’olive a longtemps été la seule graisse liquide disponible, ce qui en a fait une production majeure des pays méditerranéens. Cette production a très longtemps été confiée par les agriculteurs à de très nombreux moulins à huile : meules en pierre, scourtins, presses, etc. Les petits producteurs apportaient journellement leur récolte au moulin.

Vers la fin du 19ème siècle, la production d’huile d’olive a connu une crise majeure avec la concurrence de l’huile de graines exotiques: l’arachide, beaucoup moins chère. De nombreuses exploitations ont alors été plus ou moins abandonnées. Dans les années 60, l’association des producteurs d’huile d’olive a eu l’idée de faire la promotion de ce produit : fruit du soleil héritier de la Grèce, bénéfique pour la santé grâce à des polyphénols. On y a ajouté le régime crétois ensuite. Cette propagande, discutable, a eu un effet miraculeux en sorte que de nombreuses plantations ont été rénovées, notamment en Italie et surtout en Espagne et même à Nice.

Mais cette production de nouveau abondante ne pouvait plus être traitée dans des moulins artisanaux plus ou moins disparus, sauf pour quelques productions de luxe.

Les olives ont le défaut de mûrir pratiquement toutes en même temps, surtout s’il s’agit, comme nous l’avons vu, de variétés régionales uniques, multipliées végétativement ou par greffage.

On a donc mis au point des moulins à huile industriels de divers types, capables de traiter en continu des volumes considérables. Les olives récoltées sont en effet très sensibles, après récolte, à la fermentation et doivent donc être traitées rapidement sinon l’acidité de l’huile augmente.

Lorsqu’on achète de l’huile d’olive marquée « vierge extra », première pression à froid, c’est exact. Mais, le plus souvent, il est indiqué, en tout petit : « huile provenant de la communauté européenne », ce qui veut dire qu’après le pressage à froid, on vérifie l’acidité éventuelle des lots qui ne doit pas dépasser 5% et on les mélange pour donner aux consommateurs un produit ayant toujours le même goût : fruité, doux, etc.

Récemment est apparue l’huile de palme. Les producteurs d’huile sentant le danger, ont réagi en expliquant qu’elle était mauvaise pour la santé, ce qui est discutable. N’empêche que la mention « sans huile de palme » fait flores. Il est bien difficile aujourd’hui d’échapper aux craintes alimentaires. Elles ont la plupart des origines douteuses ne reposant sur rien de sérieux. Plus le nombre d’informations non sélectionnées est important dans un espace social, plus la crédulité se propage (Gérald Bronner : in « La démocratie des crédules).

Les arbres fruitiers

Dans les pays méditerranéens, on cultive plusieurs espèces d’arbres fruitiers que l’on peut regrouper en :

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Rutaceae : Citrus (agrumes) originaires de l’Asie du sud : Indes, Java : oranges, citrons, pamplemousses, clémentines, etc.

Rosacées : pommiers, poiriers, prunus divers (pêchers, abricotiers, cerisiers, prunus, etc.), originaires de Chine centrale via la route de la soie.

Les agrumes sont cultivés en Afrique du nord, au Moyen-Orient ainsi qu’en Espagne et en Italie du sud. Les pommiers et poiriers sont mieux à leur place dans les pays du nord de la Méditerranée. Les prunus poussent dans toute la zone.

Pendant des siècles, ces productions fruitières étaient plantées en mélange dans des jardins, près des sources d’eau d’irrigation et ne faisaient pas l’objet d’un commerce important.

On a retracé le cheminement de l’abricotier qui, venu de Chine, a progressé le long des rivières du Pamir ou du Ladakh, de l’Indus puis de l’Anatolie pour atteindre en deux branches, l’une les rivages de l’Afrique du nord au sud et l’Espagne ; l’autre de l’Arménie à la Roumanie au nord, puis la France et enfin l’Espagne.

Dans ces deux branches, la plupart des arbres sont issus de semis non greffés et les fruits sont séchés au soleil pour l’hiver ou transformés en alcool (prunes dans les Balkans).

La culture fruitière en France a très longtemps constitué un accessoire pour l’agriculteur (châteaux, monastères ou commerce local). Au début du 20ème siècle, on offrait encore à Lille une orange à un enfant pour Noël.

Une mutation commerciale s’est produite au début du 20ème siècle en Afrique du nord avec les agrumes. Sur le modèle observé en Californie et en Floride où l’on plantait, dans des terres vierges, des vergers monovariétaux (Washington navel, Valencia late), des producteurs créent avec succès, en Afrique du nord, de vastes exploitations de ces mêmes variétés destinées aux marchés européens avec les mandarines et, vers 1920, une nouveauté : la clémentine. En Italie et en Espagne, les vergers sont longtemps traditionnels : en mélange.

En France, la culture fruitière est restée longtemps confinée aux abords des grandes agglomérations. C’est ainsi que près de Paris, sur le modèle des jardins du roi à Versailles, on entretient des vergers de pêchers à Montreuil -où les arbres sont adossés à des murs pour éviter le gel- et des vergers de pommiers et de poiriers en espaliers soumis à des tailles extrêmement sophistiquées et coûteuses dans la vallée de la Loire.

On ne dispose pas en effet, à cette époque, des moyens de transporter rapidement les fruits, fragiles, sur de longues distances.

Tout va brusquement changer après la dernière guerre, avec la mise en place de la chaîne du froid : dès la récolte, les fruits sont triés, lavés, mis en cagettes, entreposés dans des chambres froides et expédiés par camions frigorifiques dans la nuit jusqu’aux marchés.

Cette évolution brutale a été initiée par quelques exploitants, dont M. Herman à Bergerac avec la Golden, prenant modèle sur ce qu’ils avaient vu alors aux Etats-Unis dans les années 40. Mais il convenait, pour cela, de choisir des variétés en nombre limité, aptes à cette nouvelle production, avec comme qualités indispensables, d’avoir des fruits résistants aux manipulations, colorés et fermes avant maturité complète. Des variétés américaines avaient été sélectionnées dans ce sens : les pommes Golden delicious et Red delicious, les pêches Elberta, Dixigem, Dixired, mais aussi françaises : poires Bon chrétien (Williams), Comice, abricot Polonais et Bergeron, prune d’Agen, Reine-claude, cerise Burlat et Napoléon, etc. Il y en a eu de nouvelles depuis. Il convenait aussi de standardiser la production en diminuant les frais de taille et de récolte : pommiers et poiriers en espalier, prunus en gobelets.

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Sur ce modèle, la production fruitière en France a connu une véritable explosion depuis 50 ans. Il y a 170 000 hectares de vergers actuellement (1% de la superficie agricole), du verger familial au grand domaine. Il en va de même en Espagne et en Italie.

En France, la production fruitière se situe essentiellement dans les départements du sud, depuis Rhône-Alpes jusqu’à l’Aquitaine. Elle est en tête de la production d’abricots et troisième de pommes, le troisième producteur de fruits derrière l’Espagne et l’Italie qui n’ont pas manqué de profiter des innovations françaises. 


L’amélioration des plantes cultivées en Méditerranée

Généralités.

Les plantes cultivées ont toutes une origine sauvage.

Les nôtres ont, le plus souvent, des ancêtres méditerranéens mais certaines ont été importées il y a fort longtemps d’Extrême-Orient ou, plus récemment, d’Amérique du Sud (16ème siècle.)

L’Homme exerce depuis qu’il les a découvertes aux débuts de la sédentarisation, au néolithique, une pression de sélection millénaire.

Les plantes sauvages ont une variabilité cachée sous la forme de caractères récessifs qui ne s’exprime que si le caractère est à l’état homozygote. On sait maintenant que ces caractères récessifs proviennent de diverses modifications du génome : mutations diverses. Beaucoup sont létales, mais certaines sont favorables ou simplement sans effets néfastes. Les variations non utiles ont été conservées sous la forme de séquences muettes à l’état hétérozygote.

Mais ces caractères cachés qui apparaissent spontanément sur quelques individus à l’état homozygote présentent parfois un avantage déterminant pour la domestication et les agriculteurs, qui n’ont pas manqué de les observer, ont tenté de les conserver dans la descendance.

L’amélioration des plantes cultivées c’est donc essentiellement l’émancipation des caractères récessifs.

Cette méthode de sélection, très ancienne, commune à tous les peuples agricoles, est dite « massale », ou en masse. Elle consiste à repérer un caractère génétique nouveau apparaissant spontanément au gré des fécondations croisées. L’agriculteur souhaite fixer la nouveauté si la multiplication végétative est possible (bouturage par exemple) ou bien il récoltera séparément les graines de la plante observée et les ressèmera dans l’espoir de les retrouver l’année suivante.

Mais ce faisant, il n’a pas contrôlé les géniteurs mâles et femelles : le caractère n’est pas fixé.

Mais en procédant ainsi pendant plusieurs années, il arrive pourtant à fixer le caractère sous la forme homozygote.

Un caractère souvent donné en exemple est celui du rachis solide des blés, ce qui facilite la récolte puisque l’épi reste entier alors que c’est évidemment un défaut majeur dans la vie sauvage puisque cela s’oppose à la dispersion des épillets et donc des graines.

Parmi les caractères qui ont été lentement favorisés est celui de la grosseur qui existe chez tous les végétaux (et aussi les animaux). On peut citer par exemple les fines asperges sauvages qui sont botaniquement identiques à nos grosses asperges blanches vendues au marché.

Il en va de même pour les très petites « pommes d’Api », ancêtres de la Golden ou des petites poires « sept en bouche » ancêtres de la « doyenné du Comice ».

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Il convient ici de noter le très petit nombre d’espèces sauvages ayant été aptes à la domestication. Une douzaine d’espèces seulement parmi les centaines de céréales sauvages. Notre alimentation repose sur un très petit nombre d’espèces.

La sélection « massale » tâtonnante a finalement été très efficace même si elle fut lente. Elle se poursuit encore de nos jours. C’est ainsi que les variétés d’arbres fruitiers comme la cerise « hâtive de Burlat », la pomme « Golden delicious », l’abricot « Bergeron » ont été découvertes il y a peu, poussant spontanément dans une haie.

L’application des lois de Mendel, au début du siècle dernier, a permis de s’affranchir notablement du hasard et de mettre au point la sélection généalogique ou dirigée, où l’on maîtrise les géniteurs mâles et femelles des croisements et où l’on observe systématiquement tous les descendants. Elle a permis de réaliser des améliorations agricoles spectaculaires.

Mais que ce soit la sélection massale ou généalogique, elles ont toutes les deux le défaut de faire perdre, par consanguinité, la variabilité génétique existant dans les espèces sauvages.

Nos variétés cultivées, surtout celles anciennes issues de la sélection massale, sont ainsi devenues tributaires de l’Homme qui les a créées.

Il suffit d’observer le retour à la broussaille des restanques des collines méditerranéennes façonnées par des générations de paysans misérables acharnés à coloniser un milieu hostile.

La sélection humaine est en dehors de la nature de sorte que tout ce que l’Homme crée est provisoire et disparaîtrait s’il ne s’en occupait plus. La trace de l’Homme s’effacerait s’il n’était plus là.

Nos variétés cultivées sont le résultat de modifications génétiques : mutations, délétions, transferts de gènes, épigénétique, fragments de virus, etc. N’en déplaise aux écologistes, elles sont toutes des OGM.

Avant de donner quelques exemples d’amélioration de plantes cultivées en Méditerranée, une dernière remarque générale.

Le professeur Jesse Ausubel a montré récemment que les bienfaits sanitaires, nutritionnels et environnementaux des progrès de l’agronomie ont été si considérables depuis la dernière guerre mondiale, qu’au cours des cinquante dernières années, où la population mondiale a plus que doublé, la production agricole a triplé tandis que les surfaces agricoles restaient stables (+ 12 %). Il reste encore des terres disponibles car on ne cultive plus que les meilleures, notamment en Europe et il n’y a plus de famine. Mais ces productions abondantes chagrinent les adeptes de la culture biologique, celle du retour à l’antique, voire au préhistorique.

Le blé

Il fait partie de l’immense famille des céréales, avec le riz et le maïs. Il est une des bases de l’alimentation humaine. Depuis le néolithique, au Proche-Orient, vers 9000 ans avant JC, il a été une des premières espèces domestiquées. C’est ainsi que, dans l’Egypte la plus ancienne, on célébrait Osiris pour avoir donné le blé aux hommes parmi ses bienfaits, leur permettant de vivre sans la chasse.

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Le genre Triticum, nom botanique du blé, comporte de nombreuses espèces qui présentent une constitution génétique extraordinaire. Elles sont toutes originaires des montagnes de Turquie, le Taurus notamment, où l’on situe le centre de diversification.

Les espèces les plus anciennes, le Triticum, ont un génome de 2n = 14 chromosomes. On peut citer le Triticum monococcum ou engrain, qui fut cultivé. Ce Triticum monococcum (AA), il y a 500 000 ans, s’est croisé spontanément avec une autre céréale voisine : Aegilops speltoïdes (BB) pour constituer, on ignore comment, un blé tétraploïde 2n = 28 chromosomes où les génomes du Triticum et de l’Aegilops cohabitent sans jamais se mélanger (AA.BB).

De cette synthèse unique est issue une série d’espèces différentes. On peut citer comme cultivées :

Triticum durum Triticum dicoccum Triticum turgidum

le blé dur
l’amidonnier
le blé poulard branchu (Auvergne) ou le blé dit « des pharaons »

Un autre événement aussi improbable s’est produit à nouveau au Moyen-Orient il y a 9000 ans environ aux débuts de la domestication : une nouvelle fusion entre un blé tétraploïde (28 chromosomes) et Aegilops tauschi (DD) qui a formé un blé héxaploïde (AA, BB, DD) qui a donné notamment le blé tendre (Triticum aestivum ou vulgare) et la grande épeautre (Triticum spelta) appréciée des adeptes de la culture Bio car plus rustique mais moins productif.

A l’INRA de Paris, Jolivet a mis vingt ans pour analyser et reconstituer un blé hexaploïde, à partir de diploïdes sauvages, ce qui était survenu spontanément, et en prenant soin de conserver la variabilité des espèces sauvages à 2n = 14 chromosomes d’origine.

Ces travaux ont ensuite été poursuivis par les maisons de semence : Vilmorin, Limagrain, etc. pour créer des variétés plus productives et résistantes aux maladies (rouille).

Cela, joint à la maîtrise des fertilisations chimiques et la lutte contre les mauvaises herbes, a fait que la production de blé tendre qui était de 20 qx à l’hectare environ dans les années 30, a été, en 2012, de 70 qx à l’hectare.

Le blé tendre est mieux adapté aux conditions climatiques du nord de la Méditerranée alors que le blé dur l’est mieux aux pays du sud (Afrique du nord, Italie du sud) plus arides.

La différence essentielle entre le blé tendre et le blé dur est que le premier, dont les graines contiennent du gluten élastique, donne de la « farine » panifiable alors que celle du deuxième, qui a un autre type de gluten et qui est riche en protéines, ne l’est pas (semoule).

La culture du blé a poussé les hommes à mettre peu à peu au point les instruments nécessaires :

le bâton pour creuser des trous, la houe en pierre,
l’araire,
la charrue,

la faucille,
le battage (fléaux), le van.

On a calculé qu’il fallait jadis trois heures de travail pour récolter un kg de blé. Les mauvaises récoltes d’origine climatiques provoquaient des famines en Europe (comme il n’y a pas si longtemps pour le riz aux Indes et en Chine). La dernière famine en France remonte à 1709.

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Le blé a été en fait une source essentielle d’énergie (amidon) et de protéine (gluten) pour les hommes méditerranéens.

Robert Pitte, de l’Institut, a récemment montré que les tables européennes connaissaient les nouilles bien avant le retour de Chine de Marco Polo (1295). Des tablettes cunéiformes traduites en 1994 leur attribuent même une postériorité mésopotamienne.

Les Chinois du nord, qui connaissaient le blé tendre via la route de la soie trois siècles avant notre ère, ont inventé la fabrication des pâtes fraîches à bouillir avec de nombreuses variantes : nouilles, raviolis, etc.

En Méditerranée, les nouilles fraîches sont connues vers la même époque dans les communautés juives. On a découvert, dans les ruines d’Herculanum, une machine à faire des nouilles (+ 79 de notre ère).

C’est à Naples vers l’an 800 que l’on invente la « pasta secca » à la semoule de blé dur introduite en Sicile par les Arabes. Celle-ci était donc déjà utilisée aussi dans les pays arabes d’Afrique du nord pour le couscous cuit à la vapeur et des galettes au four. Elles sont introduites en France par Catherine de Médicis.

La vigne

Vitis vinifera existe encore à l’état sauvage en lisière dans les bois de Méditerranée. C’est une liane qui présente des sexes séparés et donne des petites grappes de baies comestibles.

Elle a subi, il y a très longtemps, une mutation rendant ses fleurs hermaphrodites (mâle et femelle) qui a été évidemment conservée par tous les viticulteurs.

Les variétés que nous connaissons sont anciennes et forment deux groupes. Les variétés à gros grains, dites raisin de table, originaires du Proche-Orient musulman : dattier de Beyrouth, muscat d’Alexandrie, (le professeur Pirovano, vers 1940, a eu l’idée, à Naples, de croiser ces deux variétés et la chance d’obtenir, du premier coup, la variété « Italia » connue dans toute l’Europe et cultivée en tonnelles) et des variétés de cuve pour la production de vin. Il existe aussi une variété ancienne sans pépins, la sultanine ou raisin de Corinthe donnant les raisins secs. Chaque région viticole a ses variétés de cuve. La région méditerranéenne de l’Europe représente

62,7 % du vignoble mondial, notamment la France.

Tout aurait pu continuer à évoluer tranquillement si la production européenne n’avait pas été confrontée, à partir de 1862, à un ravageur sans remède : le phylloxera.

Importé d’Amérique du nord sur des plants de Vitis américains contaminés, ce puceron d’un demi-millimètre dont les femelles se multiplient sans fécondation, se nourrit sur les racines des vignes européennes et tue les ceps en moins de trois ans.

Les premiers cas ont été observés dans l’Hérault et toutes les vignes européennes furent contaminées en moins de quarante ans et le reste du monde ensuite, car il existe des formes sexuées ailées qui facilitent la dispersion. Seules les vignes implantées dans des sols sablonneux sont épargnées (Camargue). Aucun traitement n’est efficace. Ce fut un véritable désastre ravageant des millions d’hectares.

L’identification du responsable fut faite par trois membres de l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier: MM. Bazille, Planchon et Sahut en 1868. Planchon commet

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l’imprudence de rédiger un compte rendu pour l’Académie des Sciences de Paris où le Comte Paul de Gasparin et ses confrères, sans être venus sur le terrain, mettent en doute avec condescendance que les pucerons observés soient les responsables des mortalités observées. Rien de sérieux ne pouvait venir du midi. La cause était la sécheresse.

En très peu d’années, toute la France est victime de l’épidémie : la production de vin qui était de 70 millions d’hectolitres tombe à 25 millions en 1879.

Jules Planchon et Louis Viallat entreprennent une prospection en Amérique du nord avec des collègues locaux, pour ramener des variétés des Vitis américaines : vitis rupestris, riparia, labrusca, etc., résistantes au phylloxera et espèrent pouvoir s’en servir comme porte-greffe de Vitis vinifera.

Rapidement ils sélectionnent les types les mieux adaptés à nos sols. La viticulture européenne est sauvée.

Mais le phylloxera n’est pas entré seul en France. Il fut accompagné de deux maladies cryptogamiques : le mildiou et l’oïdium de la vigne se sont installés définitivement partout et nécessitent toujours des traitements pluriannuels à la bouillie bordelaise dont on a des raisons de craindre que le cuivre accumulé intoxique peu à peu le sol.

On a donc tenté, par hybridation, de créer des variétés résistantes. De très nombreux chercheurs publics ou privés s’y sont consacrés.

Le premier croisement avec Vitis labrusca a donné un hybride résistant avec un goût « foxé », ressemblant au cassis que l’on trouvait sur les marchés de Nice sous le nom de « framboisé », évidemment impropre à la vinification, sauf pour un palais américain.

Des centaines de croisements ont été faits sans résultats définitifs et se poursuivent encore avec des succès mitigés. Leur utilisation en France est interdite, sauf dérogation, depuis 1935. En revanche, en Suisse depuis 1980, il y a une liberté totale et de plus en plus de nouveaux cépages remplacent les traditionnels pour leur excellence gustative et leur résistance aux maladies.

Les techniques actuelles transgéniques bien maîtrisées permettraient peut-être de transférer plus efficacement les gènes de résistance des vignes américaines à Vitis vinifera. Mais que diraient les écologistes ? Il est douteux que l’INRA se lance dans l’aventure, d’autant que les chercheurs spécialisés ont quitté la France. Et puis le bouquet d’un vin issu de Pinot noir, de Cabernet ou de Merlot est-il seulement le fait des ADN ou épigénétique ? Les viticulteurs bio sont évidemment très tentés (AOC génériques).

L’olivier

 

Olea europea, espèce typiquement méditerranéenne qui peuple, avec le lentisque, le chêne Kermès, etc. les collines de tous nos rivages (maquis). Cette espèce est particulièrement résistante à la sécheresse et à la concurrence d’autres espèces. C’est ainsi qu’elle a survécu sur de nombreuses restanques plus ou moins abandonnées.

Les agriculteurs ont, depuis l’Antiquité, sélectionné de nombreuses variétés plus riches en huile (5 kg de fruit pour 1 l d’huile en moyenne). Ces variétés sont très bien adaptées à leurs conditions de culture. Mais cette adaptation très ancienne a eu comme conséquence mal expliquée, que les variétés cultivées ne produisent régulièrement que dans les zones où elles

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ont été sélectionnées. Le Cailletier à Nice, la Frantoïo à Florence, la Chemlali autour de Sfax en Tunisie par exemple.

Toutes ces variétés sont sûrement très anciennes.

C’est ainsi que j’ai pu identifier des noyaux antiques découverts dans les restes d’une ancienne huilerie de la petite ville romaine abandonnée de Sufetula (Sbeïtla) comme étant de la Chemlali toujours cultivée à Sfax.

L’huile d’olive a longtemps été la seule graisse liquide disponible, ce qui en a fait une production majeure des pays méditerranéens. Cette production a très longtemps été confiée par les agriculteurs à de très nombreux moulins à huile : meules en pierre, scourtins, presses, etc. Les petits producteurs apportaient journellement leur récolte au moulin.

Vers la fin du 19ème siècle, la production d’huile d’olive a connu une crise majeure avec la concurrence de l’huile de graines exotiques: l’arachide, beaucoup moins chère. De nombreuses exploitations ont alors été plus ou moins abandonnées. Dans les années 60, l’association des producteurs d’huile d’olive a eu l’idée de faire la promotion de ce produit : fruit du soleil héritier de la Grèce, bénéfique pour la santé grâce à des polyphénols. On y a ajouté le régime crétois ensuite. Cette propagande, discutable, a eu un effet miraculeux en sorte que de nombreuses plantations ont été rénovées, notamment en Italie et surtout en Espagne et même à Nice.

Mais cette production de nouveau abondante ne pouvait plus être traitée dans des moulins artisanaux plus ou moins disparus, sauf pour quelques productions de luxe.

Les olives ont le défaut de mûrir pratiquement toutes en même temps, surtout s’il s’agit, comme nous l’avons vu, de variétés régionales uniques, multipliées végétativement ou par greffage.

On a donc mis au point des moulins à huile industriels de divers types, capables de traiter en continu des volumes considérables. Les olives récoltées sont en effet très sensibles, après récolte, à la fermentation et doivent donc être traitées rapidement sinon l’acidité de l’huile augmente.

Lorsqu’on achète de l’huile d’olive marquée « vierge extra », première pression à froid, c’est exact. Mais, le plus souvent, il est indiqué, en tout petit : « huile provenant de la communauté européenne », ce qui veut dire qu’après le pressage à froid, on vérifie l’acidité éventuelle des lots qui ne doit pas dépasser 5% et on les mélange pour donner aux consommateurs un produit ayant toujours le même goût : fruité, doux, etc.

Récemment est apparue l’huile de palme. Les producteurs d’huile sentant le danger, ont réagi en expliquant qu’elle était mauvaise pour la santé, ce qui est discutable. N’empêche que la mention « sans huile de palme » fait flores. Il est bien difficile aujourd’hui d’échapper aux craintes alimentaires. Elles ont la plupart des origines douteuses ne reposant sur rien de sérieux. Plus le nombre d’informations non sélectionnées est important dans un espace social, plus la crédulité se propage (Gérald Bronner : in « La démocratie des crédules).

Les arbres fruitiers

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Dans les pays méditerranéens, on cultive plusieurs espèces d’arbres fruitiers que l’on peut regrouper en :

 

Rutaceae : Citrus (agrumes) originaires de l’Asie du sud : Indes, Java : oranges, citrons, pamplemousses, clémentines, etc.

Rosacées : pommiers, poiriers, prunus divers (pêchers, abricotiers, cerisiers, prunus, etc.), originaires de Chine centrale via la route de la soie.

Les agrumes sont cultivés en Afrique du nord, au Moyen-Orient ainsi qu’en Espagne et en Italie du sud. Les pommiers et poiriers sont mieux à leur place dans les pays du nord de la Méditerranée. Les prunus poussent dans toute la zone.

Pendant des siècles, ces productions fruitières étaient plantées en mélange dans des jardins, près des sources d’eau d’irrigation et ne faisaient pas l’objet d’un commerce important.

On a retracé le cheminement de l’abricotier qui, venu de Chine, a progressé le long des rivières du Pamir ou du Ladakh, de l’Indus puis de l’Anatolie pour atteindre en deux branches, l’une les rivages de l’Afrique du nord au sud et l’Espagne ; l’autre de l’Arménie à la Roumanie au nord, puis la France et enfin l’Espagne.

Dans ces deux branches, la plupart des arbres sont issus de semis non greffés et les fruits sont séchés au soleil pour l’hiver ou transformés en alcool (prunes dans les Balkans).

La culture fruitière en France a très longtemps constitué un accessoire pour l’agriculteur (châteaux, monastères ou commerce local). Au début du 20ème siècle, on offrait encore à Lille une orange à un enfant pour Noël.

Une mutation commerciale s’est produite au début du 20ème siècle en Afrique du nord avec les agrumes. Sur le modèle observé en Californie et en Floride où l’on plantait, dans des terres vierges, des vergers monovariétaux (Washington navel, Valencia late), des producteurs créent avec succès, en Afrique du nord, de vastes exploitations de ces mêmes variétés destinées aux marchés européens avec les mandarines et, vers 1920, une nouveauté : la clémentine. En Italie et en Espagne, les vergers sont longtemps traditionnels : en mélange.

En France, la culture fruitière est restée longtemps confinée aux abords des grandes agglomérations. C’est ainsi que près de Paris, sur le modèle des jardins du roi à Versailles, on entretient des vergers de pêchers à Montreuil -où les arbres sont adossés à des murs pour éviter le gel- et des vergers de pommiers et de poiriers en espaliers soumis à des tailles extrêmement sophistiquées et coûteuses dans la vallée de la Loire.

On ne dispose pas en effet, à cette époque, des moyens de transporter rapidement les fruits, fragiles, sur de longues distances.

Tout va brusquement changer après la dernière guerre, avec la mise en place de la chaîne du froid : dès la récolte, les fruits sont triés, lavés, mis en cagettes, entreposés dans des chambres froides et expédiés par camions frigorifiques dans la nuit jusqu’aux marchés.

Cette évolution brutale a été initiée par quelques exploitants, dont M. Herman à Bergerac avec la Golden, prenant modèle sur ce qu’ils avaient vu alors aux Etats-Unis dans les années 40. Mais il convenait, pour cela, de choisir des variétés en nombre limité, aptes à cette nouvelle production, avec comme qualités indispensables, d’avoir des fruits résistants aux manipulations, colorés et fermes avant maturité complète. Des variétés américaines avaient été sélectionnées dans ce sens : les pommes Golden delicious et Red delicious, les pêches Elberta, Dixigem, Dixired, mais aussi françaises : poires Bon chrétien (Williams), Comice, abricot Polonais et Bergeron, prune d’Agen, Reine-claude, cerise Burlat et Napoléon, etc. Il y en a eu de nouvelles depuis. Il convenait aussi de standardiser la production en diminuant les frais de taille et de récolte : pommiers et poiriers en espalier, prunus en gobelets.

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Sur ce modèle, la production fruitière en France a connu une véritable explosion depuis 50 ans. Il y a 170 000 hectares de vergers actuellement (1% de la superficie agricole), du verger familial au grand domaine. Il en va de même en Espagne et en Italie.

En France, la production fruitière se situe essentiellement dans les départements du sud, depuis Rhône-Alpes jusqu’à l’Aquitaine. Elle est en tête de la production d’abricots et troisième de pommes, le troisième producteur de fruits derrière l’Espagne et l’Italie qui n’ont pas manqué de profiter des innovations françaises.

Patrice Crossa-Raynaud
Directeur de Recherche INRA Honoraire