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Escapade en Aragon

VOYAGE EN ARAGON

Mai 2004

 

 

Autre paysages, autres plaisirs. Ceux de l'Espagne, de la marche, des copains.

     La montagne

   Les Pyrénées. Françaises d'abord, avec la montée vers Saint Larry puis au delà du tunnel de Bielsa, espagnoles.
Nous remarquons les prés blancs de "narcisses des poètes" vers saint Larry. Et, passée la frontière, ce qui me revient surtout c'est le bleu du ciel sur le blanc des sommets enneigés et tous les verts des pentes, plus bas, du noir des sapins au vert tendre presque jaune des hêtres. La montagne au printemps, nette.Notre première étape aura donc été montagnarde avec une nuit au parador de Bielsa, au pied du Monte Perdido. Et sans transition, dès l'après midi du premier jour, après avoir pique niqué au bout de la route carrossable qui s'enfonce dans la vallée de Pineta, sur une jolie prairie, à l'ombre de cerisiers pas tout à fait défleuris, en face de la barrière de montagne, nous sommes partis gaillardement pour notre première randonnée jusqu'à la ligne de crête d'un monticule, au dessus de la zone boisée, à la limite des plaques de neige. Avec la récompense d'un splendide panorama de montagnes, devant nous, derrière nous. Des montagnes aux couleurs de cartes postales.Avec une autre récompense, celle des petites gentianes bleues, comme nées de la disparition de la neige. Le grandiose et le minuscule.

   

                                                                    

Un Canyon

   Le lendemain matin, nous ferons en voiture la route qui longeles gorges d'Ordesa pour arriver à hauteur d'un ancien ermitage. (Quelle folie, quelle faute à réparer, quelle illumination a bien pu pousser un vieil homme à vivre là, sous un rocher, solitaire, loin de tout ?) Route impressionnante par la hauteur des parois rocheuses quasi verticales, l'étroitesse du défilé, les cascades. Le Rio Vellos coule tout au fond, très clair, vert. Après l'ermitage, nous continuons à pied par le sentier qui côtoie la rivière, toujours au fond de ce canyon dit "Garganta di Anisclo". Nous trouverons pour pique niquer l'endroit le plus paradisiaque dont on puisse rêver après une longue marche harassante, le plus souvent sous le couvert de la végétation, en débouchant sur un cirque très dégagé; le rio s'y déploie en une large boucle, s'étale sur de vasques plaques de roches plates et lisses avant de tomber en cascade et marmites tourbillonnantes en contrebas. La transparence de l'eau, cette couleur vert amande si claire donnait des idées de pureté, de matin du monde (à la Bernardin de Saint Pierre ?), encore que le soleil et la lumière, la force de l'eau cascadante n'avaient rien d'innocent ou de mièvre.
   Après le pique nique et la sieste (Espagne oblige), nous avons un peu continué au delà de cette sorte de clairière. Mais la vallée se rétrécit et la vue sur les falaises travaillées par l'érosion au dessus de la rivière est sans cesse obstruée par la végétation. En écho à mes gentianes bleues de la veille, une touffe de fleurs violet pâle, poussées bizarrement au creux d'un énorme rocher nu, s'est offete comme une citation de Jaccottet à un tournant du chemin.

     Des villages plus ou moins abandonnés

   De retour aux voitures, nous avons suivi une route en corniche et avons traversé sur les hauteurs quelques villages bien intéressants, comme Buerba où quelques vieux travaillent le buis pour en faire des couverts d'une matière blanche, parfaitement lisse.
   Beaucoup de maisons sont abandonnées. La plupart ont conservé leurs cheminées à motifs de croisillons, pots ou figures diverses, censées empêcher les sorcières de pénétrer à l'intérieur. En fait de maisons abandonnées, nous trouverons bien plus étrange. En prenant une petite route parfaitement entretenue, nous débouchons sur un premier village, Puertola. Apparemment déserté mais les jardins sont cultivés, des bougies sont allumées dans leur verre rouge à l'église. Il y a des rideaux aux fenêtres. Un caveau presque neuf dans le cimetière où de vieilles tombent se perdent dans les herbes hautes et les iris violets qui poussent ici à l'état sauvage, indique 1996 et 2000. Mais pasâme qui vive dans l'unique rue, récemment cimentée, qui grimpe, etroite et en pente plus que raide, au sommet du village jusqu'aux champs eux aussi déserts, pas âme qui vive derrière les fenêtres. Etrange impression.
  L'un d'entre nous évoque le village du Hussard sur le toit, que découvre Angelo, où les habitants ont fui la peste, mais où le café fume encore sur la table d'une maison abandonnée.
   En poursuivant la même route toujours parfaitement entretenue, à une dizaine de kilomètres de là, nous tombons sur un deuxième village, Escuain, celui-là  complètement abandonné, avec la plupart de ses maisons bien debout mais manifestement vides depuis longtemps. Très beau site, sur un terre plain bien dégagé. On comprend que des hommes se soient une fois installés là. Une pancarte indique des itinétaires de randonnées pédestre. De grands arbres morts flanquent une maison comme un symbole. Silence total. Trois chats feront leur apparition. Etrange. D'autant que dans ce village abandonné, un homme est là, mystérieux. De toute évidence un garde du parc national. Adossé à son quatre quatre, il examine la montagne à la jumelle. Mais nous ne parviendrons pas à savoir ce qu'il cherche, comme si nos questions l'importunaient ou le surprenaient dans une activité qu'on se plaît du coup à imaginer clandestine.
Ce soir là, nous dînerons et dormirons à Aïnsa, au cœur de la vieille ville.

  Aïnsa

   Le village ancien, très restauré est construit en hauteur, sur le site défensif d'un éperon qui surveille le fleuve en amont et en aval. De l'extrémité des remparts, on voit la chaîne pyrénéenne, toujours enneigée, avec le Mont perdu, les Trois Soeurs. Sous les arcades de la Plazza Mayor, où nous petit déjeunons, nous admirons un  ballet d'hirondelles qui nichent dans les poutres. J'avais presque oublié leurs cris. Deux rues: la grande et la petite. Elles ont gardé leurs façades à blason et leurs balcons. Ruissellement de roses très rouges ici et là. Eglise intéressante avec son cloître construit sur une base trapézoïdale. Petit concert entre nous sur fond de cris d'hirondelles.

     Al Qasar et son pays sera notre deuxième étape 

   Nous y sommes arrivés en fin d'après midi après avoir suivi la route de l'intérieur (pour éviter la grande route plus encombrée qui longe les lacs); elle traverse des paysages très différents de ceux de la montagne à sommets enneigés et à canyons. Les perspectives sont plus ouvertes, les champs plus cultivés, les roches escarpées ont fait place à des entassements de sédiments et de mollasses. Nous avons pique niqué avec les moyens du bord sur la petite place déserte d'un village (Barcabo?) où l'on a trouvé une table et en guise de bancs de gros rouleaux de pierre, rouleaux que nous reverrons souvent dans les villages de part et d'autre des seuils des maisons. Probablement récupérés d'anciens moulins à huile ou à blé. En fait de ravitaillement, le village ne disposait que d'un vague local minuscule où une brave matrone, improvisée épicière, nous a déniché une boîte de sardines, un peu de pain et les yaourts de son réfrigérateur. De la menthe sauvage poussait au pied des arbres qui nous faisaient de l'ombre, une fontaine offrait son eau au passant. Et tout cela dans le silence des heures chaudes de la journée.

     Al Qasar (il me plairait de l'orthographier Qsar en souvenir de nos Ksars marocains) est un village perché, comme isolé sur sa butte, sur fond de falaises coupées par le ravin du Rio Vero. Il ébahit quand on le découvre au tournant de la route avec ses maisons ocres à toits de tuiles (qu'on ne dit pas romaines ici mais arabes) ramassées au pied de la collégiale et de la citadelle qui le centrent et le couronnent. Trois jours après, on ne se lassait toujours pas de le contempler, de la chambre de l'hôtel où l'on avait la chance de donner sur l'acropole de la citadelle ou bien le soir, de la place en contrebas où nous dînions, à l'heure où le crépuscule adoucit tout en bleu avant que la citadelle et ses remparts ne s'illuminent et rejettent le reste du village dans le noir de la nuit.

   La collégiale que nous avons visitée le soir même de notre arrivée ne manque pas d'intérêt. Surtout par son histoire (qui sera celle de toute la région comme nous le racontera plus tard notre guide Fernando) puisqu'il s'agit d'un site défensif arabe, christianisé après la reconquête. Cloître à chapiteaux romans et fresques murales du XVIème. Très beau Christ crucifié du XIIIème à l'intérieur de l'église: très grand, très mince, lisse, gris mais malheureusement exposé sur un fond de dorures baroques qui en contredisent l'esprit même.

   Le 18 mai, première randonnée guidée.
   Avec un délicieux français tout juste sorti du pétrin espagnol, Fernando voulait chemin faisant tout nous expliquer: l'histoire du royaunme d'Aragon, la signification des quatre lignes emblématiques de son blason, celle des pattes de sanglier accrochées aux portes (trophée de chasse, repoussoir des mauvais esprits ou avertissement d'un bon fusil auquel il vaut mieux ne pas se frotter), celle des symboles phalliques des heurtoirs (signe de fécondité en des temps de peste et de guerre où l'on avait besoin de beaucoup d'enfants), le climat et la végétation méditerranéens des pré-Pyrénées aragonaises (champs d'oliviers et d'amandiers, vignes réimplantées par les Français après la crise du phylloxera, cistes et myrtes au long des chemins), les raisons de la désertion des villages (difficulté des conditions de vie: pas de route, pas d'électricité, nécessitant une quasi autarcie mais aussi modification de la vieille loi aragonaise du droit d'aînesse associé à la coutume qui faisait que les frères travaillaient pour l'aîné sous le même toit: "la pardina" ou dans le même village), le nom et les mœurs des trois espèces de vautours de la région, la technique de l'escalade, les arcatures lombardes de l'église de Santa Maria de Belsué et sa tour clocher sans communication avec l'intérieur, grâce à quoi on pouvait en faire un lieu sûr pour y cacher l'argent que récotait la paroisse, la géologie des roches sédimentaires dites en"poudingues", les techniques et astuces d'architecture d'un château médiéval chrétien (Loarre), conçu pour la défense et l'attaque contre les Arabes installés à une portée de flèches... Il nous a accompagnés pendant quatre de nos promenades au fond des barrancos et sur les hauts plateaux.
   Randonnée donc dans le Rio Vero. On dépose les voitures à Colungo. Le sentier part du village puis se faufile à travers un paysage de champs très fleuris. Certains ne sont que coquelicots, comme dans l'Atlas il y a trois ans. La végétation et le chemin se font ensuite plus secs. On monte dans le parfum du thym que l'on écrase. Sur le côté, des touffes de cistes, si reconnaissables avec leurs pétales fripés rose sombre. Puis on descend abruptement vers le Rio que l'on rejoint près d'un vieux pont restauré. Plage de galets près d'une piscine naturelle d'un vert transparent de rêve. Hautes falaises ocres de part et d'autre du canyon, percées de grottes.
Commence alors le meilleur de la randonnée: on quitte les chaussures de montagne pour des tennis de toile et l'on marche, sac au dos, dans l'eau claire, froidement revigorante, du Rio, quelquefois jusqu'à mi cuisse. Un bonheur. Au bout de notre remontée, après une bonne demi heure, quelques uns se baigneront dans une grande vasque naturelle, sous la roche en surplomb. Puis, rechaussés, nous grimperons quasi à la verticale entre les parois du ravin qui va nous reconduire à Al Qasar où nous prendrons un pot à la terrasse d'un café qui fait face aux falaises.

Le 19 mai, randonnée au canyon de Mascun. Nous partons du village de Rodellar. D'où l'on descend presque tout de suite dans le Rio entre de grandes falaises à grottes. Nous y croiserons nombre d'escaladeurs qui font là leurs premières armes, pitons après pitons. Beaucoup sont Français.
Nous repérons nos premiers vautours fauves tournoyant en l'air dans ce paysage de rochers ruiniformes. Sans nos déchausser, nous marcherons dans le lit du Rio, en passant à gué d'une rive à l'autre. Passée une source, résurgence d'une rivière dans ce relief karstique troué de partout, nous suivons un chemin qui monte raide sous un cagnard assez rude. Au bout d'une heure une heure et demie, nous débouchons en haut sur une sorte de carrefour. Abri de bergers sous une falaise. Le paysage s'élargit. Nous sommes sur une sorte de haut plateau à croupes vallonnées, au milieu des genêts odorants, des buis et des coussins de nonnes...
Dolmen. Tout au bout du chemin, le village abandoné d'Otin où nous pique niquons. Il est deux heures passées de l'après midi. Rien d'exceptionnel pour un Espagnol, mais pour une Française hypoglycémique, dur, dur! le cadre du village pourrait être celui d'une églogue virgilienne: des prés en contrebas de ce qui fut des habitations et des fermes (encore couvertes de leurs lauzes), une petite rivière, des arbres en fleurs, tout blancs (impossible de les nommer) pour dire le printemps et la fraîcheur d'un peu d'ombre, des oiseaux au chant aigu très étonnant. Nous dégustâmes le chorizo et le touron. J'y ai raconté l'histoire de la rose de Paracelse de Borges et Janine celle du plein: un professeur veut faire réfléchir ses étudiants à la notion du plein. Il remplit une jarre de pierres et leur demande si elle est bien pleine. Oui bien sûr, disent-ils. Il fait alors couler du gros gravier dans sa jarre. Les étudiants reconnaissent leur erreur. Il y rajoute du sable. Cette fois elle est bien pleine, sourient-ils lair entendu. Narquois, il y rajoute encore de l'eau...De la relativité des noms et des notions!...
Nous revenons par le canyon dans un paysage sublime de rochers en forme d'aiguilles, de colonnes, d'arches, de châteaux en ruines. D'abord en corniche et belvédère, à hauteur des vautours que l'on peut voir à la jumelle se tenir sur leurs pattes, par dizaines, comme en conférence, dans les anfractuosités de la roche, de l'autre côté du canyon, le chemin descend puis débouche sur le lit du Rio pour retrouver la source repérée le matin. Une vasque naturelle invite au bain. L'eau, glacée, (une dizaine de degrés?) refroidit les plus vaillants qui y hasardent le pied, ausitôt saisi de crampes. Notre guide, lui, y plongera. Les escaladeurs sont toujours là, araignées accrochées aux parois. Incompréhensible plaisir de l'effort gratuit.

Le 20 mai de Huesca à Nocito
Nous quittons notre si joli village d' Al Qasar pour une étape de ville à Huesca. 
Avant d'arriver là, nous laisserons les voitures au village abandonné de Belsué, regroupé sur son éperon dans une vallée isolée au milieu de champs de blé vert. Pas tout à fait abandonné puisqu'il reste deux habitants et quelques chiens! Nous aurons toute une conversation avec l'un d'entre eux qui nous raconte avoir tué et vendu quatorze poules le matin, qui se plaint des motos qui défoncent les chemins et font trop de bruit, et qui attend l'évènement annuel du village: la fête de l'église.
Notre randonnée du jour nous fait marcher dans l'ancien fond de mer, nous explique Fernando. D'où les roches sédimentées pleines de fossiles et de coquillages. On verra chemin faisant une "pardina" abandonnée, vaste ferme à étage où pouvaient vivre une trentaine de personnes quasiment en autarcie. Le chemin nous emmène vers le  Rio Flumen  qui, ici, coule sur une très large dalle de pierre jaune et cela sur des kilomètres. L'eau est là encore parfaitement transparente, d'un vert inoubliable. Nous pourrons y marcher longtemps avec délectation, en évitant les trous plus profonds, après nous être baignés (cette fois l'eau était presque chaude au pied d'une sorte de cascade. Un bonheur!) et après avoir pique niqué près de cette piscine naturelle, absolument solitaire. La petite église romane de Santa Maria de Belsué, perdue sur sa butte nous vaudra plus tard tout un cours sur l'architecture religieuse du temps et les influences arabes. Nous pousserons en voiture jusquà Nocito,  joli village où l'on arrive après une longue route de terre à un pont en dos d'âne. Eglise romane, malheureusement fermée. L'orage nous aura rejoint. Quelques grosses gouttes sur fond d'odeur d'asphalte chaude, le ciel est d'une belle couleur ardoise mais la vraie averse doit être sur la montagne, au loin.
En ville le soir à Huesca,  nous dînerons de tapas traditionnels en regardant à la télévision un torero se faire lancer deux fois en l'air comme un pauvre pantin par son taureau.

Le 21 mai, Huesca, Salto de Roldan (le Saut de Roland),  Bolea
   Huesca
est pleine de souvenirs d'histoire avec la légende de "la campana" (la cloche) évoquée par un immense tableau du XIXème siècle dans l'Ayuntamiento, exaltant symboliquement la toute puissance monarchique contre l'effervescence brouillonne et dangereuse des républicains. On nous avait montré auparavant la salle voûtée du XIIIème où a eu lieu d'après ladite légende un effroyable massacre de dix sept seigneurs félons. La tête du plus ancien, accrochée à une corde étant cette nouvelle cloche à l'intronisation de laquelle ils avaient tous été conviés, un par un. En face de l'Hôtel de Ville, de l'autre côté d'une place ombragée où se déhanche joliment une statue-fontaine de jeune fille, la cathédrale gothique (bâtie sur une ancienne mosquée). Tympan intéressant avec un buste de femme penché en avant, les deux seins pendants, comme interdit d'entrée: il s'agirait d'une représentation de la luxure. A l'intérieur, un grand rétable Renaissance, en albâtre (l'albâtre est partout présent. Toutes les églises que nous avons vues ne connaissent pas les vitraux colorés mais ont des plaques d'albâtre, translucide, veiné, aux fenêtres. Ce qui m'a fait me demander si Soulages, à Conques, ne s'en était pas inspiré). Dans ce foisonnement de formes blanchâtres qui sont censées représenter la Passion, on a du mal à s'y retrouver. Tout près, le musée diocésain possède des gravures de Goya esentiellement consacrées à la corrida (Pampelune est tout près) et surtout un très curieux petit tableau (une anamorphose?) où un peintre facétieux, dépité d'avoir été éconduit par la famille de sa bien aimée au prétexte qu'il n'était pas de sa condition, a peint un couple de deux amoureux qui, vu de loin, représente une tête de mort. A quelques rues de là, une grande place aux maisons uniformément colorées blanches et rouge sombre avec dans un angle une grande vieille épicerie traditionnelle: quantités de bocaux bien alignés et étiquetés, de bouteilles d'huile d'olive, de petites boîtes toutes identiques, morues séchées, balances d'autrefois et une odeur surannée délicieuse...Plus loin encore, église de San Pedro el Viejo,  du XIIème, avec sa tour à base carrée qui a remplacé une construction mozarabe. Dans un coin du cloître, panthéon des rois aragonais. Une mauvaise guide nous gâte la visite et nous n'aurons guère le temps de nous attarder aux chapiteaux du cloître ni à cette belle adoration des mages au tympan de l'entrée dudit cloître.
   L'après midi, nous allons jusqu'au Saut de Roland: Deux immenses rochers, séparés par le Rio Flumen. La légende raconte que le chevalier Roland a sauté de l'un à l'autre avec son cheval pour échapper à ses ennemis (maures bien sûr). Diable! Nous en avons contourné un à flanc de montagne par un chemin vertigineux. Là encore à hauteur des nids de vautours et de milans royaux qui tournoient très haut dans le ciel. En fait de rochers, ce sont d'énormes arêtes rocheuses, ocres, sacrément impressionnantes, à pic au sessus d'une plaine cultivée de champs de blé d'un vert sombre qui s'étend loin à l'horizon. Pendant cette balade d'une petite heure, nous avons pu observer des tulipes sauvages d'un jaune orangé éclatant.
   Nous aurons encore le temps de rendre visite à la collégiale de Santa Maria la Mayor à Bolea. Elle a été construite tout en haut du site du village, à l'écart. Un grand escalier la flanque d'un côté. De là, la vue est superbe sur la plaine de champs cultivés. A l'intérieur de l'église, belle voûte en étoiles de croisées d'ogives. Mais surtout, très très beau retable du début du XVIème . Il est présenté comme "le chef d'œuvre de la peinture espagnole de la Renaissance". J'ai noté "20 panneaux de bois peints à la détrempe", comme autant d'assez grands tableaux d'inspiration tantôt flamande, tantôt italiene qui retracent la vie de la Vierge et du Christ. Etonnante fraîcheur des verts et des rouges. On reconnaît des perspectives à la Masaccio pour la Cène, un lointain de ville à la flamande derrière le Christ au Mont des Oliviers; lequel est agenouillé dans un parterre de fleurs d'une étonnante précision (grands iris noirs, pâquerettes, fraisiers, ancolies...), une chevelure de femme à la Botticelli près du corps du Christ descendu de la Croix. C'est le panneau que j'ai préféré. Comme j'en ai rapporté une reproduction, je peux me réenchanter de la belle Madeleine éplorée, de l'envol de la cape rose rouge de Saint Jean penché au dessus de la Vierge agenouillée, tout enveloppée de son manteau bleu sombre étoilé d'or, du corps livide du Christ étendu sur son linceul, le tout sur fond bleu azur du ciel. Le sujet n'est pas neuf, mais, comme dit l'autre, le traitement en renouvelle le plaisir pictural au delà des dévotions bondieusardes.

     Le 22 mai. Los Maillos. Depuis Aguerro. Loarre.

    C'est à Aguero que nous avons dormi au retour de Bolea. Encore un village perché, tout à fait authentique, sans restauration. AVec sa place où les vieux viennent s'asseoir et attendre Godot le soir, son église à typan roman sculpté, son orphéon municipal qu'on a pu entendre le dimanche matin.
   Le village se détache sur les "maillos" énormes rochers en pains de sucre. l'hôtel est simple, mais l'acacia fleuri devant les chambres sent bon la frangipane et le restaurant esst fort correct.
   Fernando guidera notre randonnée du jour dans les "maillos de Riglos". On contourne les roches à escalade (pour grimpeurs très, très chevronnés; mais on a compté pas moins de dix cordées) elles font plus de 300 mètres de hauteur, autant que la Tour Eiffel, et se dressent à la verticale. Pas pour nous! mais notre contournement pédestre pour les prendre à revers nous hissera tout de même jusqu'à leur sommet. les fleurs poussent à foison dans les hautes herbes qu'aucun faucheur ne vient couper sur ces escarpements. Et à nouveau les vautours qui tournoient en nombre. De là haut, les vues plongeantes sont magnifiques et la descente dans le cirque des roches nous laisse souvent pantois, du moins quand on peut lever la tête et regarder autre chose que ses pieds, mal assurés sur les pierres qui roulent. Nous verrons de près les strates des sédiments à gros galets et disserterons géologie. Avec cette envie de comprendre autant que d'admirer. Une fois de plus, l'idée que la terre a une histoire, que rien n'a jamais été immobile ni identique depuis toute étenité, qu'ici, des glaciers ont pu charrier devant eux et sous eux toutes ces caillasses qui se sont agglomérées puis érodées, creusées par les rivières, les vents, les pluies devient tangible. Quant au sentiment du "magnifique" je me demande toujours à quoi il tient. J'ai lu autrefois des réflexions sur le beau, le sublime mais les généralités refroidissent l'émotion que l'on peut ressentir devant certains paysages. Est-ce disproportion de notre petitesse devant les reliefs de montagne? bizarreriesdes formes naturelles? surprise de l'inconnu, de l'inattendu? variété des lignes d'horizon?
   Au déjeuner (à deux heures passées), à l'auberge du village voisin, nous descendons du sublime parmi le monde: impossible d'échapper à la télévision et aux images du mariage princier que la télvision espagnole passe en boucle!
   Fernando nous conduira ensuite au Château fort de Loarra. Ayant été guide au château pendant un an, il avait à cœur de nous en faire une visite complète. Ce qui fut fait avant qu'un mariage fort habillé ne vienne s'y faire célébrer en grande cérémonie dans la chapelle. Cette citadelle chrétienne médiévale prévue pour conquérir Bolea,  le village fortifié tout proche, sur les musulmans, n'a jamais servi. Elle est admirablement conservée. En position dominante, la vue là encore est admirable (ce qui éait certainement le cadet des soucis des chevaliers et soudards de l'époque!). Les époques et les hommes eux aussi changent: Nous ne sommes plus sensibles à la dévotion qui a prévalu dans la commande des tableaux religieux pas plus qu'à la valeur stratégique des citadelles. Nous sommes-nous affadis en contemplateurs esthètes?
  Notre guide nous quittera ce même soir après un bon repas à notre hôtel de Aguero  et quelques conseils pour nos visites du lendemain.

     23 mai. D'Agero à Jaca puis la France
   A la sortie denotre petit village d'Aguero, halte à l'étonnante église inachevée, isolée en pleine nature. Enorme édifice, mais inachevé. Murs très hauts, rytmés par de hautes colonnes extérieuresqui encadrent l'abside. Aux chapiteaux précédant et encadrant le typan d'un portail latéral, deux scènes curieuses évoquant la danse de Salomé, laquelle est complètement renversée, en appui sur les bras et les jambes, lascivement offerte. Nous avions déjà vu le même motif, mais plus abîmé au cloître de San Pedro el Viejo à Huesca.
  
De là, nous sommes allés à Santa Cruz de la Seros qui possède une belle église romane à haut clocher puis à San Juan de la Pena, grand monastère construit sous un rocher en surplomb d'où un saint se serait élancé dans le vide et aurait atterri sans dommage (retenu par les anges? la main de Dieu?).

   La journée et notre voyage espagnol se termineront à la cathédrale de Jaca, assez décevante par son aspect grandiose maniéré à côté des belles petites églises de village de montagne que nous avions aimées. Et là, surprise! un orage jupitérien et sa pluie diluvienne nous a retenus prisonniers sous le porche de l'église pendant plus d'une heure (écho ironique de la vallée du Todgha au Maroc, vengeance chrétienne sur les cataractes musulmanes!)