Souvenirs de Sicile

Texte de M-Th. Goetschel

Septembre 2007

     Palerme d'abord, Palerme la Phénicienne, disent les livres. Un grand port. Mais en première approche pour nous, Français débarquant d'avion en ce mois de septembre 2007, une ville méditerranéenne, à la végétation quasi africaine avec ses palmiers, ses jacarandas violets et ses palétuviers, sa circulation embouteillée et son soleil de plomb. L'été retrouvé après les maussaderies d'août de chez nous.
     Vue de plus près, au fur et à mesure de nos déambulations dans les rues du centre dit historique, une ville qui me laisse la même impression qu'il y a quarante ans: assez sale, souvent délabrée img-2553.jpg(nombre de quartiers ont gardé la trace des bombardements de 43), pittoresque et authentique avec ses marchés colorés, ses ruelles sans trottoirs, cachant des merveilles, en particulier dans ses églises ouvertes au visiteur et probablement derrière les façades de ses palais malheureusement peu visitables, aux balcons ouvragés et sculptés si reconnaissables à leurs rambardes de fer forgé, arrondies et renflées en "poitrines d'oies", sûrement fort superstitieuse avec sainte Rosalie et ses innombrables églises, chapelles et oratoires. Hors du centre historique, une ville plus banale, avec de grandes artères, aux multiples banques (où il nous sera pourtant difficile de retirer de l'argent),des magasins type international, de jolies places, quelques immeubles style art nouveau, les deux grands théâtres de la ville, des bâtiments mussoliniens comme l'imposante Poste et le Palais de Justice...

     Palerme a non seulement sa Sainte protectrice, célébrée chaque année, mais aussi son Génie.img-2539-1.jpg

 Personnage inconnu des grandes mythologies antiques, statue d'un soldat-roi plus ou moins antique, brandissant ou allaitant un serpent, maintes fois rencontrée dans la vlle et sous tous les formats: gigantesque dans le Jardin botanique, modeste comme celle de la Piazza della Rivoluzione. Pourquoi ce Génie??? Peut-être le symbole de l'improbable identité d'une ville qui aura connu successivement, comme un résumé ou un précipité de l'histoire de la Méditerranée (Voir monsieur Braudel), la domination des Phéniciens (après une population paléolithique, néolithique, après les Elymes, et autres Sicanes ou Sicules venus, eux, on ne sait trop d'où), des Romains, des Arabes, des Normands, des Souabes, des Français Angevins (pas de quoi en être fiers quand on vous raconte l'histoire des Vêpres siciliennes), des Espagnols Aragonais, des Habsbourg, des Bourbon, le soulèvement des Garibaldiens, les bombardements des Alliés, de la Mafia...

On aura eu du mal en trois jours à tout reconstituer ce puzzle. Notre cicerone, fort érudit, a bien essayé de nous dévoiler en plus les mystères de l'ésotérisme de la ville, mais je crains de ne pas avoir été assez attentive pour retrouver lesdits mystères! Et je n'avais pas encore de carnet pour prendre des notes à Palerme. Restent les souvenirs et les photos.
Notre hôtel: Villa Archirafi, via Lincoln. Mention spéciale pour notre petit restaurant du premier soir; Le Sant'Andrea (nous y sommes retournés), ses antipasti, ses pâtes, son vin (nero d'Avolo, je crois?) et ses premiers cannoli avec au sortir des ruelles, quelque peu coupe-gorges sombres, un débouché magique sur San Domenico (la plus grande église de Palerme ai-je lu quelque part), avec sa majestueuse façade baroque tout illuminée.

Puis sans doute en vrac, des images de nos déambulations.
Après le Jardin Botanique, tout près de notre hôtel, via Lincoln, bâtiment classique à l'entrée avec fronton et colonnes, très retour d'Egypte, énorme barque-char de Sainte Rosalie, des plus kitsch) et sans aller jusqu'à la mer (nous attendrons le troisième jour pour nous rendre compte que Palerme est un port, nous pénétrons dans la vieille ville: le Foro italico, je crois, qui était l'ancien quartier musulman. Les populations devfaient y être fort mélangées si l'on en croit les inscriptions des rues en arabe, italien, hébreu.
Santa Maria dello Spasimo: une église sans toit. Belle structure architecturale, toute en élancement gothique. Personne. Esplanade jardin qui était autrefois l'avancée du bastion espagnol du XVIème siècle.
Piazza Maggione (je ne m'en souviens pas bien sinon comme un lieu qui porte maintes traces des bombardements alliés et où il y aurait dans les rues alentour nombre de squats), église della Maggione avec son allée de palmiers et de lauriers roses,img-2550.jpg son architecture arabo-normande, petite Piazza della revoluzione. Tout près un tableau mural gravé dans la pierre des équivalences des différentes unités de mesure. Marché de la Vucceria, haut en couleurs, de fruits, de légumes et d'épices. Fontaine monumentale de la Piazza Pretoria toute en marbre blanc, assez XVIème florentin. Statues de nus masculins et féminins s'observant; tritons, nymphes chevauchant des animaux marins, allégories des quatre fleuves, têtes d'animaux bizares, bassins circulaires30palerme-30.jpg, rampes d'escalier. Un peu plus loin; la place des Quattro Canti, au croisement de la via Maqueda et du Corso Vittore Emanuele: façades concaves, baroques, de quatre palais ornementés de fontaines, de statues (des quatre saisons, de rois espagnols, de saintes).
La Martorana ou Santa Maria dell' Amiraglio avec ses trois coupoles arabes rouges: une partie primitive (le reste de l'église est très baroque) conserve de belles mosaïques byzantines du XIIème siècle. Notre guide nous a longuement commenté le couronement de Roger II par le Christ mais il y a aussi de belles scènes de la vie de la Vierge à la croisée du transept dont une Dormition et une Nativité.img-2567.jpg

La Cathédrale img-2577.jpgavec à l'entrée une inscription en arabe du Coran (il faut dire que les Normands l'ont construite sur l'emplacement de la Grande Mosquée bâtie elle-même sur les vestiges d'une basilique chrétienne). A partir de là, je m'embrouille complètement pour situer toutes les églises que nous avons vues. Etait-ce le même jour? le lendemain? Où loger ces intérieurs d'églises baroques aux somptueuses incrustations de marbres et pierres colorés sur les devants d'autel, à la profusion d'enroulements et volutes sur les murs? les très beaux stucs de Serpotta? Etait-ce à la Chiesa del Gesù? A san Nicolo di Bari, à San Cataldo? Je me souviens pourtant bien de cette chapelle désaffectée des Carmélites qui a été ouverte pour nous, au delà de la cour d'un ancien cloître ou monastère en réfection pour être bientôt transformé en chambres d'hôtes, de ses autels à colonnes torses où s'enroulaient des guirlandes décoratives et où s'accrochaient des ribambelles de petits putti, oeuvres dudit Serpotta. Je me souviens d'églises attendant dans une profusion de décorations florales leur prochain mariage. Mais comment les nommer? Où les repérer sur le plan? Je me souviens encore, au hasard d'une porte ouverte, d'une charrette peinte, de la photo prise au pied d'un gigantesque banyan dans le Parc de la Liberté...
En définitive, cette Palerme telle qu'en elle-même mon souvenir la brouille, illustre peut-être assez bien, le kaleidoscope embrouillé dont parlent les livres!

(Nous n'avons pu voir ni les Eremiti ni le Palazzo fermés pour cause de restrauration).

MONTREALEmonreale-13.jpg

Nous lui avons consacré une demi journée. J'ai dû là encore être quelque peu distraite lorsque notre guide nous expliquait le parcours initiatique que supposent l'architecture et l'orientation vers la lumière de l'église. En revanche, les mosaïques du XIIème siècle, le colossal Christ Pancreator, la Vierge trônant dans le choeur et l'autre Vierge à l'enfant, plus familière, au-dessus de la porte de sortie sont toujours là, comme dans mon souvenir d'il y a quarante ans. Mais, infidélités de la mémoire ou manque d'attention à l'époque, j'ai découvert comme si je ne les avais jamais vus les admirables pavements, véritables tapis de pierres et de marbres colorés, aux motifs géométriques entrelacés, incrustés de petits triangles s'organisant en de savants labyrinthes,monreale-10.jpg et ces étroites bandes verticales, scintillantes de couleur et d'or sur le fond de marbre gris blanc, qui ryhment les murs du choeur. Que de richesses dans cette église! Que d'or! Que d'or! Je ne me souvenais plus bien non plus de l'admirable cloître aux fines colonnes jumelées, toutes différentes, incrustées de mosaïques, surmontées de châpiteaux historiés. Dans un angle, une fontaine qui évoque des jardins arabes.
Les livres disent que c'est là joyau de l'architecture arabo normande. Soit! Même sans leur prescription d'admiration, on est naturellement impressionné.

 

20-21 septembre: Scopello. Casa Vito

Au troisième jour, nous voilà partis pour notre tour de l'Île, dans notre blanc minibus.
Premier arrêt pour acheter les cannoli " les plus célèbres de la Sicile" - dixit notre guide palermitain - et les déguster au dessert de notre pique nique en bord de mer à Cesini.
En cours de route, très beau point de vue sur Castellamare,castellamare-01.jpg
 jolie petite ville qui s'étage au-dessus de la mer. Sensation enfin d'être sur une île.
Notre étape de Scopello: Maisons d'hôtes disséminées dans un grand jardin de figuiers, de grenadiers, d'amandiers...avec plein de pots de verveines, de belles de jour, de plantes aromatiques. A l'horizon, la mer. Tout près, un champ un peu pelé avec un âne, Ciccio, qui de temps en temps brait sa solitude. Le sourire de la bonté sur le visage de notre hôte. Il taille, replante, cueille des figues pour les faire sécher ou les cuire. Un sage. Le sage selon Epicure ou La Fontaine. Au bout de la route, un restaurant où nous dégusterons le premier soir un excellent couscous de poisson. Tout près, le village avec sa place pavée de larges plaques de pierres plates et lisses autour d'un gigantesque eucalyptus. On y entre par une porte de pierre qui s'ouvre sur une esplanade de tonnelles couvertes sous lesquelles nous prendrons notre petit déjeuner. C'est dans ce même village que, voulant acheter du raisin, nous avons eu la surprise de voir l'épicier aller en cueillir une énorme grappe dans son jardin, derrière la boutique.

Pour l'heure, après notre installation dans nos petites maisons de jardin, nous partons pour Ségeste. Traversée de très beaux paysages de campagne, très vallonnés, sillonnés par maints viaducs. J'avais le souvenir d'un site absolument sauvage. Mais depuis, on a aménagé un grand parking et un service de bus pour accéder au théâtre que nous visitons d'abord. Face à ce paysage agreste, l'amphithéâtre (très restauré) parle à l'imagination.
On aimerait y entendre les voix antiques d'un choeur tragique, comme celui d'Antigone:

La nature est pleine de merveilles,
mais l'homme est le chef d'oeuvre de la nature.
Vers l'au-delà de la blancheur marine,
confiant sa voile à la vitesse des tempêtes,
sur le mouvant gonflement des vagues mugissantes,
il s'élance et franchit l'abîme.
Et la plus grande des déesses ,
immortelle, la Terre, inépuisable, inlassable,
année après année, il la fatigue, il la féconde
sous le va et vient des boeufs et des charrues

(...)

Plus vite que le vent, il pense.
Le langage est son oeuvre, et l'ordre des cités.
Contre la pluie, contre le gel, il se bâtit un toit.
Dans l'avenir vers lequel il s'avance,
il prévoit le danger.
En toutes choses l'homme est plein de ressources.
La mort seule le trouve dépourvu.
Il n'y échappe pas. Pourtant,
de maladies qui semblaient sans remède
il a trouvé la guérison.

L'industrie de ses mains,
le trésor infini de ses dons,
il les emploie tantôt pour le bien
mais tantôt pour le mal si, au faîte de la cité,
cédant au vertige de la grandeur,
il confond les lois de la terre
et le droit sacré des dieux.
Qu'il soit rejeté de la communauté,
l'audacieux qui porte la main sur leur justice.
Qu'il ne partage pas ma table,
et que mon coeur lui soit fermé.agrigente-03.jpg

Le temple. Aussi beau que l'espérait mon souvenir. Aussi majestueusement isolé dans son cadre de montagne, de champs et de collines. Une chance: nous étions seuls parce que les derniers visiteurs. La lumière du soir, bleue et d'orange doré sur un fond ennuagé, illuminait l'ocre des pierres. De quoi réviser et admirer à loisir la perfection de l'ordonnance dorique. De quoi méditer aussi sur le destin des civilisations car enfin notre émotion est esthétique, peut-être un peu intellectuellement historique mais plus du tout sacrée. Les dieux antiques sont morts. La cité de Ségeste a complètement disparu. Ce que nous admirons n'est plus que la carcasse de ce qui fut un temple.
Ceci étant, comment interpréter que ce qui a tout de même tenu, comme des témoins têtus, au-delà des tremblements de terre, des guerres entre cités, des destructions de tous ordres soit un théâtre et un temple?

erice.jpgLe lendemain matin, nous visitons Erice, village piton, perché à 750 mètres. De là-haut, la vue époustouflante sur la mer et la plaine. De la tour clocher, on domine les toits de tuiles romaines. Les églises et monastères sont légions: Maria Maggiore et sa voûte en ogives néo gothiques, décorées de stucs jaunes, imitant la dentelle (que l'on trouve sur les ombrelles), le monastère des religieuses bénédictines San Salvatore quasi en ruines, San Francesco d'Assisi, San Giuliano et son musée des "misteri", groupes de statues conçues par les anciennes corporations pour représenter des scènes de la vie du Christ, particulièrement de la Passion, San Alberto dei Bianchi, effectivement toute blanche avec ses dalles mortuaires en marbre et ses voûtes aplaties en anses de panier, etc, etc. Beaucoup sont en restauration. Le petites rues en pente, pavées comme d'un parquet de pierres lisses, sont d'une étonnante propreté, presque glissantes.erice-04.jpg img-2671.jpgDans cette ville malheureusement vouée au seul tourisme, on rencontre plus de boutiques vendant leurs petites horreurs que d'habitants ordinaires. J'excepte la vision dans une rue à l'écart du centre, de ce vieillard à son balcon avec son écharpe sur les oreilles comme pour se protéger d'une fluxion ou du sirocco qui soufflait fort ce jour là...Et l'on peut acheter d'excellentes pâtisseries à base de pâte d'amande dans la boutique confidentielle d'un couvent de religieuses, à l'écart lui aussi du centre. Ce que nous fîmes...
L'après midi, petite randonée en bord de mer sur le sentier qui traverse une réserve naturelle.Certains ont pu se baigner dans une petite crique où l'eau semblait transparente ainsi qu'aux plus  beaux jours.

 

22-23 septembre. Azienda agricola. Fattoria Mosè

Au moment de partir, notre hôte nous a fait cadeau de figues séchées et de sirop-confiture de figues. Et toujours ce sourire discret de bonté.
Première étape: Sélinonte. L'autoroute traverse l'intérieur. Les paysages ressemblent à ceux que nous avons vus pour aller à Ségeste.img-2698-1.jpg
Le site antique, très vaste, est double et se déploie de chaque côté d'un rio qui débouche là où était le port antique dont il ne reste rien. C'est un site de ruines assez dispersées, très différent de Ségeste. La massivité du premier temple que l'on visite, avec ses colonnes doriques bien en place et son naos encore debout, impressionne. Mais ce qui personnellement m'impressionne plus encore, c'est l'impression d'énorme, de gigantesque, d'apocalyptique effondrement devant l'enchevêtrement (terrible dirait Hugo) des triglyphes, des métopes, des groupes compacts d'abaques et d'échines, des tambours de colonnes, débris cyclopéens qui gisent là comme s'ils venaient de s'écrouler. Qui a dit que l'art grec était celui de la mesure, de la grâce?  Loin des grâces de Praxitèle de l'exposition du Louvre, on se croirait devant les traces de quelque effroyable gigantomachie. Et sur ce site de pierres, sans arbres, un impitoyable soleil...

Déjeuner à Sciacca, sur le port. Peu de choses à en dire sinon que nous étions écrasés de chaleur. je crois que la friture était bonne pourtant. Et la petite ville offrait la vision rapidement interceptée de montées d'escaliers aux contremarches joliment colorées de majoliques.
Bord de mer massacré par une urbanisation ravageuse et fort moche.
Arrivée à notre hacienda, à la sortie d' Agrigente. Très belle demeure de domaine d'autrefois (XIXème ?), plus bourgeoise que princière avec toutefois sa chapelle privée. Nous logeons dans de vastes appartements donnant d'une part sur une grande cour cimentée et d'autre part sur de petits patios-jardins et une terrasse où nous dînerons des provisions rapportées de la ville. De la terrasse, nous avons vue sur les pentes d'une colline de champs labourés et hersés d'un beau gris marron pâle, couronnée à l'horizon d'une petite ville en acropole. Alentour et faisant contraste, des champs verts de vignes ou d'orangers. Les petits déjeuners se prennent à l'étage de la maison principale:  vaste salle à manger que l'on atteint après avoir traversé un salon de musique, table d'hôtes aux appétissantes confitures maison...

Agrigenteimg-2717.jpg

   Notre guide, accablé par la goutte, avait du mal à se déplacer. Plus laconique que notre palermitain, il nous dira pourtant l'essentiel sur cette ville détruite par les Barbares aux IVème Vème siècles: sa double acropole toute en longueur face à la mer, ses remparts construits sur et dans la roche, encore en palce, ses temples: celui d'Héra (le premier que l'on visite, assez bien conservé), celui de la Concorde dû à l'architecte Ictinoo, élève de l'architece du Parthénon (ce temple est quasiment intact à la différence de Sélinonte, grâce à ses astuces de construction antisismique: colonnes penchées à l'intérieur de 3° par exemple, renflement des colonnes à la base pour plus d'assise...), son utilisation comme église pendant 12 siècles, la restitution à sa grécité première, celui de Jupiter, le plus grand de la Sicile avec son pseudo périptère et son colossal Télamon allongé par terre, souvenir peut-être des esclaves noirs carthaginois vaincus à la bataille d'Himère? (J'ai du mal à imaginer à leur place ces murs-statue d'Atlantes), la villa de ce mécène anglais qui a aidé de ses deniers la restauration des huit colonnes du temple le plus archaïque du site, dédié à Héraklès. Les tombes d'un cimetière chrétien du IVème siècle, creusées à même la roche. De quoi là encore méditer sur ruines et superpositions de civilisations...
C'était dimanche. Et le dimanche, les musées sont fermés. Nous n'avons donc pas pu voir les éphèbes de marbre ou le télamon original que vantent les brochures. Une partie de la troupe en a profité pour excursionner en ville. Gérard est parti aquareller la jolie vue de notre terrasse. Je suis restée aussi pour le calme de ce locus amoenus sicilien. Grâce à quoi j'ai lu d'affilée (ou presque) Ascolta le voce de Susana Tamaro.
(...)

Ici se situe une anecdote plaisante, de celles qu'on aime à raconter au retour.
Le soir tombé, j'avais laissé mon étui à lunettes sur le fauteuil, dehors, là où j'avais lu le premier soir. Un chien de la maison m'avait longtemps tenu compagnie, et j'étais rentrée dans la maison sans lui prêter attention. Au moment de ranger mes lunettes, je cherche mon étui. Disparu. Je fais alors le rapprochement avec une petite note de l'hôtesse mettant en garde les visiteurs contre la tentation voleuse de ses chiens. Je lui fais donc part de la disparition. Mais après inspection des sites où d'ordinaire elle retrouve les rapts, rien. J'avais donc fait mon deuil de l'étui lorsqu'au moment de quitter notre hacienda , le surlendemain, un chien vient vers notre groupe en se dirigeant ostensiblement vers moi et que me tend-il dans sa gueule?...De la fine intelligence des chiens qui non seulement volent mais rendent: je suppose que ce plastique transparent n'avait pas bon goût.
Dernier souvenir de " l'Azienda Mosè ": le cadeau du sac d'amandes écalées dont nous nous régalâmes longtemps dans notre minibus.

 

 

 

24-25 septembre.. Lido di Noto. Villa Mediterrane

Nous voilà repartis par l'itinéraire côtier, faisant le choix des villes baroques, ce qui exclut l'intérieur et la villa romaine de Casale. Beaucoup de serres de part et d'autre de la route. Paysage très plat. A Gela; raffineries. Habitat dense et sans charme.

Raguse et Modica, nos deux étapes. Deux sites identiques, deux grandioses panoramas: les maisons se tassent fort pittoresquement mais mal commodément en s'accrochant aux deux versants d'un ravin. Deux très belles églises, baroquissimes, somptueuses. Nous nous sommes davantage attardés à Ragusa Ibla:
une place tout en longueur avec ses palmiers vers le Duomo de San Giorgio, majestueusement baroque; au long des rues avoisinantes, splendides façades de palais XVIIIème à balcons pansus de fer ouvragé et consoles de têtes grotesques.img-2749.jpg
 Les gelati de la Piazza n'étaient pas mal non plus!
La destination de notre hôtel-villa nous emmène au bord de la mer, dans un jardin méditerranéen, autour d'une piscine. Dîner le soir à Noto qui est à vingt minutes.

Syracuse.  Les dieux avaient décidé que ce jour là, ils déchaîneraient foudres et pluies célestes. Après les orages du Todgha au Maroc, de Jaca en Aragon, c'est donc à Syracuse qu'ils nous guettaient. Et la première pluie d'orage après six mois secs, c'est apparemment quelque chose dans ce pays!!! Notre guide nous emmena donc à l'abri visiter le musée archéologique. Tout neuf. (remarquable, notre guide qui sait si joliment raconter, entre autres, la légende de Persée et de la Gorgone devant la plaque de terre cuite peinte qui la représente (à côté des maquettes des temples d'Apollon et de Zeus) que je ne résiste pas au plaisir de la réévoquer, d'autant que je ne connaissais pas le détail, tout syracusain (?), du corail: belle jeune fille, rivale en beauté d'Athéna, violée par Zeus (ou Poseidon?), elle fut métamorphosée en créature horrible qui pétrifiait qui la regardait. Lorsque persée la tue grâce à la protection du bouclier de bronze d'Athéna, miroir qui lui évite de regarder le monstre en face, de son cou mutilé jaillit un cheval ailé, Pégase (elle le porte effectivement sous son bras) et des gouttes de son sang naît le corail, qui devient une amulette.
D'intéressantes cartes permettent de comprendre les implantations grecques en Sicile et la configuration portuaire de Syracuse. Des photographes isolent dans la lumière de leurs projecteurs les sculptures maîtresses du musée dont un Kouros et une Aphrodite sans tête, dévêtue, retenant (sa tunique? son voile?) autour de son sexe.
Beaucoup de pièces à regarder de près dans les vitrines(cratères peints, statuettes et objets funéraires etc...) A la sortie, aussi inattendus que rarissimes, deux squelettes d'éléphants nains, qui expliqueraient je ne sais plus quelle légende.
Tout en courant et pataugeant sous la pluie, j'ai retrouvé le vieux Syracuse que j'aime, celui de l'île d'Ortygie (moins délabrée, plus propre et ordonnée que Palerme), avec l'ordonnance de ses rues étroites, ses belles maisons, sa grande place ovale avec les façades de palais ou d'églises baroquesimg-2774.jpg et la cathédrale bâtie sur un temple grec qu'elle a du coup contribué à conserver. Du reste, on retrouve assez bien les colonnes encastrées dans le mur rajouté entre elles...
Syracuse est baroque certes mais c'est d'histoires et de légendes de la Grande Grèce qu'elle parle. On a envie de réviser ses humanités. La plus belle ville de Méditerranée et la plus riche au temps de Hiéron, après la victoire d'Himère (où mourut Hamilcar le Carthaginois). Pindare, Eschyle (Les Perses y ont été joués au théâtre), Platon y ont séjourné...Et c'est la ville d'Archimède! Chapeau bas, donc! Il en reste plus que des traces sur le site antique: le théâtre, l'autel de Hiéron où l'on exécutait les hécatombes (sacrifice de cent taureaux blancs), les Latomies, colossales carrières de pierre où l'on va écouter les effets acoustiques de l'Oreille de Denys, ainsi nommée par Le Caravage dit-on, immense grotte creusée dans le tuf où furent enfermés et périrent de faim les prisonniers grecs de la désastreuse expédition dite de Sicile (alors alliée de Sparte), sur l'idée d'Alcibiade, en 415 av JC. Je me surprends ici à moins méditer sur les ruines que sur la grandeur passée. Les civilisations sont mortelles mais certaines furent grandes et il nous en reste quelque chose. Et Syracuse la Sicilienne était au coeur de la grande civilisation méditerranéenne grecque (même si ses "tyrans" n'ont pas toujours respecté le modèle athénien de la démocratie, déjà fort malmené après les désastreuses guerres du Péloponèse, il est vrai).

Avant de quitter Syracuse, la belle Grecque, un dernier regard vers la fontaine d'Aréthuse et sa jolie légende. Grand bassin et source d'eau fraîche à deux pas de la mer. Les marins venaient faire relâche pour s'approvisionner d'eau potable. De grandes touffes de papyrus y croissent. On raconte qu'Alphée, dieu du fleuve Alphée qui coule dans le Péloponèse était amoureux de la nymphe chasseresse Aréthuse, compagne d'Artémis. Pour échapper à ses assiduités, la nymphe traversa la mer et s'enfuit jusqu'à Syracuse dans l'île d'Ortygie où, grâce à Artémis, elle fut métamorphosée en source. Alphée la rejoignit sous la mer et par amour mêla ses eaux aux siennes.

Notoimg-2798.jpg

Vision d'une ville illuminée a giorno (trop au goût de notre hôtelier), splendidement restaurée (depuis le souvenir d'il y a quarante ans que j'en avais gardé). Entre 6 et 7 heures du soir, c'est la passeggiata. Peu de touristes. Les jeunes se promènent dans la grande rue centrale, les vieux sont assis sur les bancs ou aux terrasses des cafés et discutent ferme en riant. dcp-1893.jpgUne majorité d'hommes: les femmes doivent être aux fourneaux en train de cuire la pasta, la tomate, la melanzana...On est en Sicile au milieu des Siciliens et pas seulement dans la plus belle rue baroque du monde.img-2784.jpg
Le soir c'était notre fête à nous  au restaurant, du moins celle de l'anniversaire de Janine.

26-27 septembre. Linguaglossa. Villa Refe

 

Nous quittons le sud pour aller à la rencontre des contrées de l'Etna.
Au passage:

Taormina

Hélas, les touristes nous y avaient précédés! En rangs serrés entre les boutiques qui s'en nourrissent.img-2804.jpg Çà gâche un peu le paysage! Dommage car le site est splendide, au dessus de la mer avec l'Etna à l'horizon. Un beau voilier blanc à je ne sais combien de mâts croisait dans le golfe.
 Reste le théâtre, un peu trop romanisé à mon goût avec son mur de scène et ses briques rouges, à côté de ceux de Ségeste et de Syracuse mais quel site là encore!

Détour au village perché de Castel Mola. Où nous nous en allâmes hardiment dîner. Je dis hardiment car notre minibus occupe souvent tout l'espace  de la petite route en lacets! De la Piazza San Giorgio, spectacle improvisé de la pleine lune sur la er et de son ombre portée.

Notre hôtesse de Linguarossa parle espagnol. Elle a longtemps vécu en Amérique du Sud, (comme nombre de Siciliens partis faire fortune...)on peut toujours rêver)

Le 27: l'Etna

On se l'était promis. on en avait parlé. on avait imaginé d'en faire l'ascension à pied (4 ou 5 heures de montée d'après les renseignements préliminaires, 3 de descente...) C'est notre vaillant minibus puis le 4 X 4 de la station qui nous y emmenèrent. Le temps n'étant pas des plus favorables, le sommet était interdit. Nous sommes donc montés jusqu'à 2800 mètres, jusqu'à hauteur de la neige. 09-07-sicile-2-etna-076-21.jpgLe vent glacé y chassait les nuages à folle allure, coupant la respiration, nous forçant à marcher courbés et à assurer notre équilibre facilement instable au dessus des cratères secondaires qu'il nous a été permis de voir. pour arriver là, les 4 X 4 suivent une piste vaguement tracée, fortement secouante, dans la dernière coulée de 2002. On imagine fort bien comment elle a pu tout emporter et tout griller sur son passage. Des arbres blancs, fantomatiques sont encore debout ici et là.etna-19.jpg Ce ne sont pas les temples grecs qui s'abattent ici, c'est la montagne elle-même que le cataclysme charrue. J'ai toujours trouvé fascinant et très perturbant le spectacle de ces désolations volcaniques, résultats de ces éructations d'une terre que l'on croit stable mais que travaille sous elle un feu toujours prêt à jaillir et à l'embraser. Certes, les cendres sur lesquelles on marche sont refroidies (plus ou moins...) et le paysage a quelque chose de grandiose dans sa désolation même, mais j'y suis fort mal à l'aise, alors que quelques amis s'y enchantent.
Comment diantre Empédocle, le philosophe d'Agrigente, a-t-il pu concevoir l'idée de s'y jeter pour mourir?

Après ces hauteurs calcinées, nous sommes redescendus dans la vallée avec l'intention d'aller voir les gorges d'Alcantara que nous n'avons fait qu'entrevoir, l'heure de la visite étant passée.
En revanche le village perché de  Castiglione di Sicilia castiglione-01.jpgnous a réservé une jolie surprise. Rien de léché comme à Erice mais un vrai village, un peu délabré, avec ses vieux devisant sur les bancs ou sur le pas des portes, les ruines d'une forteresse grecque au sommet, de petites églises baroques, des places, des ruelles étroites (on a eu quelques problèmes pour faire passer le minibus entre deux maisons très rapprochées au débouché de la grand place...et à 3 centimètres près, on a failli y être encore...). Mais toute peine méritant salaire;nous eûmes la récompense d'une "oenothèque" fort sympa où l'excellent moscato et l'excellent repas nous remirent en joie...

 

28-29 septembre. Milazzo. Hôtel La Bussolaimg-2847.jpg

Nous voiciimg-2850.jpg maintenant quasiment à la troisième pointe de la Tricrinia. Notre hôtel est tout près du quai qui longe le port. Nous ferons une petite virée jusqu'à la pointe d'où l'on peut voir un château forteresse qui a dû servir de prison. De là, nous allons jusqu'au site antique de Tyndaris, la dernière des colonies grecques. L'endroit est surtout célèbre pour une grosse cathédrale de pèlerinage...que nous dédaignons pour le petit musée archéologique et le site de fouilles. j'aime bien ces petits musées locaux, à taille humaine, où l'on peut ensuite se souvenir de presque tout: deux Niké dans l'envol des draperies de leur tunique, une tête monumentale d'Auguste (?), une autre dite de Priam coiffée d'un bonnet phrygien...On découvre sur le site, face à la mer, un petit théâtre avec quelques restes de mur de scène alexandrin et des maisons à mosaïques près de thermes privés, l'entrée en arches d'une basilique romaine...Tout ça très, très intéressant et loin des foules touristique.

 

 

lipari-02.jpg

Nous voulions une île. Mais laquelle choisir? Va pour Lipari, l'île d'Eole, à une petite heure de Milazzo par l'hydroglisseur.
 Beau temps. On dépasse et on voit les autres îles: Vulcano, Stromboli.
Deux musées archéologiques pour commencer notre visite, installés dans le château forteresse.img-2870.jpg Nous ne nous attendions pas à autant de trésors. Je passe rapidement sur les céramiques qui remontent au néolithique, les bronzes etc pour en arriver à ce très grand vase-cratère noir à figures rouges représentant entre autres les travaux d'Héraklès, cela pour le premier musée. Dans le deuxième, reconstitution de nécropoles, salles d'amphores antiques, efficacement mises en scène en amoncellement comme dans le fond des bateaux qui les transportaient, riche collection de vases noirs à figures blanches (Héra entre Aphrodite et Eros) ou rouges (scènes dionysiaques, ménades etc), séries de vitrines exposant de petits masques de théâtre en terre cuite représentant des rôles de comédies d'Aristophane et de Ménandre: l'Hétaïre d'une beauté parfaite, l'homme barbu, le jeune Pan, le beau jeune homme, le jeune homme brun, le jeune homme sans scrupules, etc...

Pique nique dans un petit amphithéâtre en retrait du img-2849.jpgchâteau avec vue plongeante sur le port.
Excursion en car vers les anciennes carrières d'obsidienne qui firent la fortune de Lipari . Mais elles ne sont plus exploitées, les pontons d'embarquement, désertés rouillent et les quelques maisons qui longent la mersemblent s'ennuyer. Certains d'entre nous se sont donc baignés.
Au retour, nous dînâmes pour la deuxième fois chez Pignataru, sur le port, lequel Pignataru, grand bavard devant l'Eternel, après nous avoir raconté une partie de sa vie, fit cadeau à chacun de nos couples d'une bouteille de vin maison.

30 septembre. Hôtel pas loin de l'aéroport à Cinisi (?)

Dernier jour de voyage. Nous bouclons la boucle en consacrant une partie de la journée à Cefal09-07-sicile-2-cefalu-120.jpgù, recommandée par notre guide palermitain.
Ville fort intéressante au demeurant mais aux rues étroites pour notre véhicule une fois encore. C'est une ville de bord de mer avec une très longue plage et après avoir langui devant les eaux claires et chaudes de la Méditerranée sicilienne, la possibilité d'une vraie baignade.

                             cefalu-09.jpg                

C'est aussi la ville du musée où l'on peut voir le visage du beau marin au sourire  ironique d'Antonello da Messina et d'une cathédrale qui rappelle celle de Monreale avec un Christ Pancreator en mosaïque. Il y faisait à nouveau très chaud.

Un grand merci à toi Gérard (qui avait organisé le voyage).